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Fortunat et de Galatée a des affinités incontestables avec cette noble lignée d’esprits élevés et féconds dont se compose l’école romantique. C’est même, à vrai dire, dans cet air de famille avec Arnim et Tieck que je trouve la principale originalité de sa manière.


III.

Que nous montrent en définitive ces mémoires? Une suite d’épisodes et de tableaux tracés au hasard, des souvenirs moitié réels, moitié fantastiques, où le vrai se confond tellement avec l’imaginaire, la copie avec l’invention, qu’on finit par ne plus distinguer la sincérité de l’afféterie. À ces peintures d’un passé déjà bien loin de nous opposons l’image du présent; laissons les ombres s’acheminer vers l’éternel Hadès, et sans marchander aux grandes infortunes le tribut de nos condoléances, après avoir dit bon voyage à cette troupe de héros et de masques qui va s’engouffrer pour jamais dans la nuit des temps, essayons de nous prendre aux vivans, à ceux que l’heure actuelle convoque. Hélas! même parmi ceux-là, dans cette foule qui pas plus tard qu’hier se rencontrait sur le terrain des élections, combien d’attardés et d’écloppés, spectres rouges qui n’avaient pas revu la lumière depuis la révolution de 1848, et spectres blancs qu’on mène en guerre sous l’étendard de la Gazette de la Croix! « Vous aimez l’Allemagne, disait tout récemment à quelqu’un de nos amis un des hommes de l’administration nouvelle, eh bien! rassurez-vous, la Prusse est forte, et n’a rien à craindre de personne, pas même des partis! » Ce mot n’a rien qui nous semble exagéré. D’un côté, le régent est assez libéral, il a dans l’âme assez d’attachement aux idées de progrès pour ne pas se laisser rebuter par de compromettantes manifestations, et de l’autre il est trop sincèrement l’ami de l’ordre, il estime trop haut la valeur des droits qui lui sont confiés pour s’en remettre jamais à un parti qu’il connaît de longue date. « Qu’est-ce donc que le prince de Prusse? demandait un jour devant nous un étranger au personnage que nous citions plus haut. — Le prince de Prusse, lui fut-il répondu, c’est un Prussien. » Et en effet dans cette très simple réplique il y a tout un caractère.

Le prince de Prusse a l’aspect d’un véritable souverain: grand, robuste, le front noble et ouvert, la loyauté sur le visage. Je n’insiste pas sur le côté militaire de sa physionomie; dans la monarchie de Frédéric, dans un état qui s’est fait ce qu’il est par l’épée, tout prince porte en naissant l’uniforme, et n’eût-on pour le métier des armes qu’un goût très médiocre, comme cela s’est vu plus d’une fois, la tradition de famille veut qu’on en ait la contenance. D’ailleurs le prince de Prusse a toutes les qualités d’un soldat, et c’est bien la