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cents de cavalerie s’élevèrent; les travaux militaires et les travaux maritimes furent combinés de manière à se prêter un appui réciproque et à procurer à la ville un assainissement complet. Ce fut alors aussi que fut posé, avec une sûreté de coup d’œil qu’aucune observation postérieure n’a démentie, le principe de la défense de la ville du côté de la terre. L’entreprise, commencée en 1687, fut poussée avec vigueur en 1688, et Vauban se flattait d’avoir doté la France d’une place qui rendrait désormais vaines les attaques contre la presqu’île du Cotentin et d’un port qui, placé sur le chemin de tout le commerce de la Manche, serait en temps de guerre le refuge de nos alliés et le désespoir de nos ennemis. Malheureusement des conseils timides, dont le pressentiment perce dans la réfutation anticipée qu’il en fit dans son mémoire de 1686, prévalurent bientôt. Tandis que les fortifications qu’il avait tracées s’élevaient, la ligue célèbre dans laquelle l’Europe presque entière se coalisa contre Louis XIV se formait à Augsbourg; d’un autre côté, Guillaume d’Orange débarquait en Angleterre le 15 novembre 1688, et sa prochaine élévation au trône était dès cet instant facile à prévoir. Obligé de faire à la fois face au nord, sur le Rhin, sur les Alpes et sur les Pyrénées, le roi craignit qu’une descente des Anglais, ne mît Cherbourg entre les mains du plus habile et du plus constant de ses ennemis. La démolition des fortifications, qu’il aurait été difficile de reprendre, fut ordonnée au commencement de décembre 1688, et poursuivie avec une telle activité qu’elle était finie en mars de l’année suivante. Vauban, consulté après coup, écrivait d’Amiens le 25 janvier 1688 à Louvois:


« Je n’ose quasi vous dire, monseigneur, que, si le vieux Cherbourg n’étoit pas commencé d’abattre, il faudroit en tout cas se contenter de le miner et le château aussi, et cependant continuer la nouvelle fortification ; car peut-être les Anglois auront-ils assez d’affaires chez eux pendant cette année pour ne pas songer à celles des autres. D’ailleurs je crains que le rasement de cette place ne les attire là... Faites-vous représenter les mémoires et les plans que j’ai faits, et vous verrez que cette place ferme la plus dangereuse porte du royaume aux ennemis. Du moins il ne faudroit pas aller si vite en besogne, mais se contenter de faire miner les ouvrages pour être en état de les faire sauter au besoin. Je vous demande pardon si je prends la liberté de revenir à la charge; mais je ne me puis ôter de l’esprit le danger auquel nous nous exposons par ce rasement. »


Des conseils si sages ne furent point écoutés, et Louvois répondit sèchement le 2 février : « Je vous ferai convenir, quand je vous verrai, que rien n’est plus contraire au service du roi que ce que vous proposez pour la conservation de Cherbourg. » Quand le désastre de La Hougue eut donné la fatale démonstration de la nécessité d’un grand abri dans la Manche, Vauban revit son ouvrage dans