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une députation composée des membres les plus éminens du collège; plus souvent le collège entier passait sans autre préambule devant lui. Tous les électeurs lui étaient nommés à leur tour. Quelques-uns d’entre eux s’étaient-ils distingués par leurs talens ou leurs services, il les arrêtait en entendant leurs noms, et, proportionnant à la place que les choses ou les personnes occupaient dans le pays le temps qu’il leur accordait, il interrogeait chacun sur ce qu’il savait le mieux. Pendant son séjour dans un chef-lieu, les préfets, les commandans des troupes, les ingénieurs civils et militaires, les chefs des services financiers étaient tenus dans une alerte continuelle : chacun devait s’attendre à tout instant à recevoir la demande d’un renseignement, à être appelé dans ces conseils d’administration où il se plaisait à contrôler par les connaissances spéciales des hommes de métier les propositions de ses ministres et ses vues personnelles. Le conseil général du département, la chambre de commerce, le conseil municipal de la ville, réunis en session, exposaient les vœux et les besoins du pays, répondaient sans retard aux questions qui leur étaient adressées, et votaient les moyens d’exécution des mesures arrêtées. S’il s’agissait d’entreprises utiles suspendues par l’insuffisance des ressources locales, il les mettait à flot le plus souvent par d’ingénieuses combinaisons, quelquefois par des générosités calculées. Convaincu que les hommes n’attachent de prix qu’à ce qui leur coûte, il ne faisait jamais de dons que sous condition de concours. Pour prendre dans ce voyage même des exemples de sa manière d’agir, en faisant contribuer la ville et le département, il accordait une subvention de 700,000 fr. sur le domaine extraordinaire pour l’établissement du canal de Caen à la mer, et en faisant don à la ville de Cherbourg des mielles que l’état possédait à ses portes, il l’obligeait à les mettre en valeur et à les vendre en détail pour compléter avec le produit ses établissemens municipaux.

Il n’était pas toujours facile de tenir pied à une telle activité d’esprit, et pour vivre dans la sphère où elle s’exerçait, la première condition était une santé de fer. Je me souviens de quatre nuits de suite passées au travail dans le voyage de Normandie, de sept dans le voyage de Hollande. Les jeunes gens d’aujourd’hui n’ont pas de ces bonnes fortunes. On supportait avec bonheur ces privations et ces fatigues; on en était largement dédommagé par le spectacle des mouvemens de cette puissante intelligence. Les fêtes, la représentation importunaient Napoléon : il estimait trop le temps pour leur en donner au-delà de ce qu’il était impossible de leur ôter. Créer, organiser, améliorer, tels étaient ses soucis, ou plutôt, s’il est vrai que le bonheur consiste dans l’exercice de nos facultés, tels étaient