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libre de la digue étaient atteintes; la végétation dont elle se revêtait en était la preuve irréfragable. Toutefois l’affermissement de la digue et l’élargissement de sa base n’avaient pu s’effectuer qu’aux dépens de sa hauteur : la crête était de 2 ou 3 mètres au-dessous du niveau qu’on avait cru atteindre avec la quantité de matériaux employée, et le mécompte n’était pas moins grand sur le calme promis à la rade. Il ressortait clairement des effets observés que l’action exercée sur la digue était la résultante de deux forces : le frottement des courans alternatifs de flot et de jusant qui la côtoient et le choc des coups de mer qui la heurtent de front ou la prennent en écharpe. Cette expérience de trente années montrait les lames qui déferlent sur la digue s’emparant de toute pierre et de toute roche déclassée, la délaissant pour la ressaisir, la promenant sur le talus, tantôt le lui faisant descendre obliquement, tantôt la poussant violemment sur le sommet et la précipitant sur le revers intérieur, et ne l’abandonnant jamais qu’après l’avoir mise hors de ses atteintes. Parmi ces évolutions aussi capricieuses que les vents, la constance des effets manifestait celle des tendances; les lois de l’hydrostatique et de la pesanteur dominaient le tumulte des tempêtes : plus la digue était tourmentée, mieux elle se tassait; toujours la mer rasait les saillies, comblait les creux et remaniait les matériaux, qui semblaient lui servir de jouet jusqu’à ce qu’elle les eût rangés dans les conditions de stabilité que n’avaient pas su leur donner les hommes. Telles étaient les leçons données par les élémens qu’on avait à combattre, et la conclusion en était facile à tirer; il restait à faire un grand rechargement de la digue et à en mettre la crête au-dessus de la fureur des eaux.

D’après ces détails et ceux qu’on a donnés plus haut, l’histoire de la digue de Cherbourg pourrait se diviser en trois périodes : celle de l’emploi des cônes de M. de Cessart, temps d’essais malheureux où l’extraordinaire est pris pour le bon, où les idées simples et pratiques sont frappées d’une sorte de réprobation; puis vient celle de l’exécution à pierres perdues, dans laquelle l’intelligente opiniâtreté de M. Cachin triomphe des plus grandes difficultés que puisse rencontrer l’art de l’ingénieur; enfin la troisième, celle de la consolidation du corps de la digue par l’imposition d’un couronnement indestructible.

La digue étant arrivée à ce point, sa partie la moins épaisse, la moins tassée, la plus faible, était celle qu’atteignaient les plus furieux assauts de la mer; le minimum des forces de la résistance coïncidait avec le maximum des forces de l’attaque. Les lames poussées du large contre la digue faisaient remonter le talus aux pierres mobiles et les rejetaient sur le revers intérieur. Cet écrèlement con-