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l’artiste ou du savant désintéressé, serait peut-être le plus convenable pour l’amoureux selon le cœur de M. Michelet. En second lieu, il faut fuir le monde, autre condition d’oisiveté. Pour vivre dans la solitude, il faut n’exercer aucune profession, ou bien ne connaître d’autre travail que le travail volontaire dont je parlais tout à l’heure. M. Michelet veut que l’époux ait un métier; cependant il multiplie tellement ses devoirs, que, s’il veut les accomplir strictement, il devra se condamner à une demi-oisiveté. Une demi-oisiveté, un travail volontaire qu’on prend et laisse selon le caprice de l’heure qui passe, suppose nécessairement une certaine aisance. Mais ce n’est pas tout : le train de vie des époux, pour être modeste, n’en sera pas moins coûteux. Ils devront vivre dans une solitude que l’époux-magicien s’appliquera à rendre enchantée et féerique autant que possible. La maison du berger, où les deux époux aimeront en liberté, sera située à quelque distance de la ville où le mari fait ses affaires. « Deux étages, trois pièces à chacun; bien située, bien soleillée, avec un grand verger et un petit jardin où elle puisse un peu cultiver, surtout d’abondantes eaux et, s’il se pouvait, jaillissantes. » Voilà une demeure modeste que les pauvres volontaires peuvent seuls se permettre. L’ameublement intérieur doit naturellement être en rapport avec l’habitation. M. Michelet proscrit le luxe, mais il recommande la commodité en toutes choses, le comfort, comme disent les Anglais, et le comfort est quelque peu parent du luxe. Il faut donc à la femme aimée « de grands placards et de profonds tiroirs, de bonnes armoires de chêne à mettre le linge, des resserres, des cachettes; car elles aiment tout cela, surtout celles qui n’ont rien à cacher. Les meubles variés, les sièges de toute hauteur, et jusqu’aux chaises basses d’enfant, tout cela leur plaît, et avec raison. La femme sédentaire a besoin de varier au moins les attitudes du travail; ce sont les libertés de la captive volontaire. De bons tapis (communs du reste si vous voulez), mais épais, doublés, triplés de moelleuses doublures, continués partout, sur les escaliers même; c’est le bonheur d’un petit pied de femme qui si délicatement en apprécie la douce résistance, la moelleuse élasticité... Pas de poêle, mais des cheminées; poêle et migraine sont synonymes. Le feu de bois, il est plus gai, plus sain.» Voilà pour l’utile ; mais le superflu, cette chose si nécessaire selon le célèbre Arouet, n’est pas oublié : « Ne pourriez-vous pas, sans frais, avec quelques piliers, un léger toit de zinc, lui créer entre la maison et le jardin une petite galerie ouverte, un petit portique d’hiver où par un temps doux elle couse, brode ou lise, devant un bassin, au gazouillement de la fontaine; petit abri si peu coûteux, si nécessaire dans nos climats changeans? »