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Abécédaire vocal, ou Méthode préparatoire du Chant, par M. Henri Panofka.


Les ouvrages sur l’art de chanter ne manquent pas plus que les professeurs à grandes prétentions, qui promettent, avec le Psalmiste, de soutenir les faibles, de contenir les superbes et de ramener les égarés. Tous les ans, le Conservatoire de Paris couronne un certain nombre de rosières de première et de seconde qualité, de basses, de barytons surtout, et de ténors, qu’il livre à la circulation et qui vont alimenter les théâtres de la capitale et de la province. A côté du Conservatoire, il existe d’autres écoles de chant, de déclamation plus ou moins lyrique, des maîtres nombreux, inventeurs de méthodes expéditives et nouvelles, qui sont le fruit de l’expérience et du progrès, et c’est de toutes ces causes réunies qu’il résulte peut-être que votre fille est muette !

La manie de notre temps (et chaque époque a la sienne), c’est de croire que tout est possible, de mettre en toutes choses l’effort où manque la grâce, la volonté et le labeur à la place de la nature et de la vocation. On cultive donc les arts comme on laboure la terre, comme on apprend un métier, et l’on fait des peintres, des musiciens et des sculpteurs aussi expéditivement qu’on enseigne aux soldats la charge en douze temps. De cette fausse manière d’apprécier le jeu des facultés humaines, de cette subordination de l’instinct créateur à la volonté qui dirige, provient, selon nous, une des grandes misères de la société moderne : l’encombrement des carrières libérales par des ouvriers déclassés et des hommes sans vocation, c’est-à-dire sans amour. L’art est devenu une profession comme une autre, un gagne-pain qu’on choisit à froid, et l’on entre au Conservatoire de Musique, par exemple, aussi délibérément qu’on se présente au Conservatoire des Arts et Métiers, avec l’autorisation de père et mère qui ont mûrement pesé les avantages de la carrière que leur fils va parcourir. Les abords de l’Institut sont obstrués de peintres, de sculpteurs, d’architectes et de compositeurs qui auraient pu être des ingénieurs, des avocats, des notaires ou des commerçans utiles à la société, qu’ils affligent des produits amers de leur prétendu génie. Des artistes éminens comme Mlles  Rachel, Mars, Mme  Malibran, Lablache, Rubini ou Martin sont rares sans doute dans tous les temps, et il serait aussi injuste d’exiger du Conservatoire qu’il produise tous les ans de pareils phénomènes que de demander à l’École polytechnique des hommes comme Laplace et Poisson. Cependant on devrait consulter plus qu’on ne le fait les aptitudes naturelles, et ne pas croire qu’avec le temps et beaucoup de travail on forme un artiste comme on fait un médecin ou un fabricant de produits chimiques. Il faut absolument à la société des cordonniers, des tailleurs et des ouvriers de différens états, mais elle n’a que faire de pauvres peintres et de misérables musiciens.

À Dieu ne plaise que je sois ennemi de l’émancipation morale des classes inférieures, et que je voie d’un œil jaloux les nobles tentatives qu’on fait partout de nos jours pour les faire participer aux bienfaits d’une éducation plus libérale et plus salutaire à l’âme ! J’approuve de tout mon cœur cette diffusion des élémens des beaux-arts parmi le peuple, ces écoles primaires où l’on s’efforce de répandre les principes du dessin et de la musique, et