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descend de la montagne et qu’on appelle le Spring-creek, s’étalait une belle et verte pelouse où rien ne décelait qu’il dût y avoir de l’or plus qu’en aucun des endroits où l’on passe chaque jour ; à gauche se déroulaient à perte de vue, et pressées les unes contre les autres, des milliers de huttes et de tentes au milieu desquelles des perches, surmontées d’un mouchoir, signalaient çà et là des boutiques et des tavernes. Le sol était poudreux et battu, des arbres coupés gisaient à terre avec leur feuillage, des trous ronds et carrés s’ouvraient à distances inégales, les uns secs, les autres à moitié pleins d’une eau noirâtre et croupissante ; des membres d’animaux dépecés, des immondices et des entrailles exhalaient sous un soleil d’été une odeur infecte ; puis, courbé sur la petite rivière, dans l’eau et à moitié nu, tout un peuple lavait, pétrissait la terre, agitait les berceaux et autres engins des mineurs.

En ce temps-là, on racontait encore en Angleterre, entre autres folles exagérations, qu’un homme sorti le matin de Melbourne avec un sac vide pouvait, en marchant deux jours, aller aux mines et en revenir avec son sac plein d’or. Il semblait qu’il n’y eût qu’à se baisser pour ramasser nuggets, grains et poudre d’or. La réalité différait beaucoup de ce rêve fait à distance. Il y avait trois modes de procéder : fouiller le fond des rivières, en agiter le gravier et la vase soit dans une sébile, comme nos ravageurs, soit dans une machine fabriquée à cet effet ; creuser la terre sèche et en transporter des monceaux aux rivières, ou amener l’eau dans des trous ; briser le quartz et réduire en poudre des masses de rocher. On appelle ces divers procédés washing, dry-digging et quartz-crusking. Tout cela se pratiquait à ciel ouvert, à la chaleur du jour, à la fraîcheur des nuits, sous des pluies subites et torrentielles. Heureux celui qui, après sa rude journée, pouvait prendre un repas suffisant et envelopper, sous une tente humide, ses membres dans une toile goudronnée ! Durant la nuit, la crainte des voleurs, les coups de feu continuels, les hurlemens des hommes ivres interrompaient le sommeil. La fièvre, la dyssenterie, les douleurs produites par le travail dans l’eau, retenaient nombre de malheureux sous leur tente, et sur le flanc de la montagne il y avait un cimetière où l’on pouvait compter par milliers déjà les espérances déçues. Beaucoup, après avoir passé par toutes les alternatives de la joie et du désespoir, brisés par les émotions et la fatigue, se sentaient incapables de mener cette vie plus longtemps, et ils s’en allaient, par troupes, sales, la barbe longue, en guenilles ; pour faire le chemin, ils avaient vendu leur équipe, et s’en retournaient plus pauvres qu’ils n’étaient venus. Les heureux ne réussissaient pas du premier coup ; bien peu parmi les plus favorisés se retiraient sans laisser une part de leur vigueur et de leur santé en paiement de l’or qu’ils emportaient : la