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paysage est aussi affreux que celui de la Mer-Morte. De plus, on ne saurait s’y faire une idée exacte de la perspective à cause des prodigieux effets de la réfraction et du mirage. Ce phénomène est tel que, concourant avec certaines autres circonstances, il a été, dans ces dernières années, la cause d’un débat très singulier entre des explorateurs également sérieux. En 1856 et 1857, deux voyageurs, MM. Babbage et Goyder, s’étaient avancés, après les grandes pluies d’automne, dans la direction du lac. Au lieu des plages nues qu’avaient signalées leurs prédécesseurs, ils avaient trouvé de la verdure, une large nappe d’eau à peine saumâtre, et dans le lointain ils avaient entrevu de riches prairies. C’était la terre promise qui devait mener les colons au cœur du continent. Par malheur, il a bien vite fallu renoncer à ces espérances ; plus tard vint la sécheresse, et on retrouva les plaines désolées qu’avaient signalées les premiers explorateurs ; la verdure née de l’inondation s’était flétrie et desséchée, l’eau de pluie s’était évaporée, et le lac avait repris toute son amertume ; quant aux richesses du sol, aux îles, aux prairies, elles n’étaient, selon toute apparence, que le résultat des décevantes illusions du mirage.

Reconnaissant qu’il n’y a décidément rien à espérer de ce côté, les voyageurs se sont tournés vers la pointé orientale du lac, et dans les premiers mois de 1858, trois corps d’exploration quittaient Adélaïde. Le premier est revenu sans résultat après avoir épuisé ses provisions ; le second, dirigé par M. Babbage, n’a trouvé, en errant dans les affreuses solitudes qu’il s’efforçait de franchir, que des traces du désastre qu’avait subi la troisième expédition, composée de trois voyageurs, MM. Coulthard, Scott et Brooks. Voici la partie de la triste dépêche, datée du 16 juin dernier, qui annonce à la colonie que l’amour de la science et des voyages a fait de nouvelles victimes : «… J’ai trouvé le corps de M. Coulthard étendu sous un buisson ; à quelques pas se trouvaient sa cantine et tout son équipement. Sur un des côtés de cette cantine en étain, offrant une surface convexe de douze pouces de long sur dix de large, le malheureux voyageur avait gravé avec un clou ou la pointe de quelque instrument les mots suivans : « Je n’ai nulle part rencontré d’eau douce ; je ne sais depuis combien de temps j’ai quitté Scott et Brooks, je crois que c’est lundi. Après avoir saigné Pompée pour vivre de son sang, j’ai pris le cheval noir pour chercher de l’eau, et la dernière chose dont je me souvienne est de lui avoir ôté la selle et de l’avoir laissé aller jusqu’à ce qu’il n’ait plus eu de force. Je ne sais combien de temps s’est écoulé depuis : deux ou trois jours ? Je l’ignore. Ma langue est collée à mon palais, et je ne vois plus ce que j’ai écrit. Je sens que c’est la dernière fois que je puis exprimer mes sentimens…