Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/13

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont on fait souvent une branche du même arbre ; c’est, dans tous les cas, une branche greffée, et qui diffère du tronc où elle a puisé sa sève et par les fleurs et par les fruits.

Aussi trouverait-on facilement des exemples pour montrer que le tory, l’épiscopal, l’idéaliste Coleridge a formé plus d’un révolutionnaire, plus d’un incrédule, plus d’un matérialiste. La postérité du royaliste Hegel ne se croit-elle pas encore hégélienne en exaltant le nivellement démocratique ? Quant à l’influence de Coleridge, j’en veux citer un témoignage vrai ou prétendu, mais certainement singulier, et que je crois peu connu chez nous. On n’a peut-être pas oublié le nom de M. Thomas Allsop, à qui, pendant les premiers mois de l’année 1858, un sinistre événement avait donné une certaine notoriété. Eh bien ! celui qui portait véritablement ce nom était un ami et un disciple favori de Coleridge. C’est du moins comme tel qu’il avait publié en 1836 un recueil de lettres, de conversations et de souvenirs du poète philosophe[1], et il y a quelques mois que des éditeurs, exploitant la circonstance et le bruit, ont réimprimé ce livre, disant que la première édition était épuisée » et qu’ils tenaient à montrer combien le ton de l’auteur s’écartait de la littérature de convention. Dans la préface, l’auteur s’adresse à ses enfans, Elisabeth et Robin, à qui il dédie son livre. Il leur annonce qu’ils y trouveront aussi des souvenirs de Charles Lamb, également son ami ; mais il leur promet sur toutes choses la vérité tout entière, et en louant avec effusion Coleridge, il les exhorte à puiser dans ces souvenirs des leçons d’humanité et d’indépendance. Dans le fait, quelques lettres de Coleridge sont le fond de l’ouvrage. À la suite de chacune, l’auteur rappelle les dispositions dans lesquelles elle a été écrite, les conversations auxquelles elle fait allusion, et il cite avec commentaire des pensées ou des mots qu’il a entendus de la bouche de Coleridge, qu’il comprend et souvent traduit à sa manière. C’est ainsi qu’à propos de la lettre IV, il veut que l’on remplace les expressions du texte : The philosophy of religion, the religion of philosophy, par celles-ci : The philosophy of humanity the humanity of philosophy. On ne voit pas en effet qu’il ait une religion quelconque, pas même celle de Coleridge, qu’il convertit sans trop d’effort en un mysticisme humanitaire, et qu’ainsi traduite, il recommande fort à ses enfans. Dans sa lettre V, il trouve que Coleridge traite Cobbett de coquin, tout en l’admirant beaucoup, comme ont fait tous ses contemporains. Il s’empare de l’admiration en laissant le reste, et se donne pour un coleridgien cobbettiste. En effet, il épouse énergiquement les haines communes à

  1. Letters, Conversations and Recollections of S. T. Coleridge, edited by Th. Allsop, of Notfield,… a member of the Stock Exchange. 2e edit. London, 1858.