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éternelle inimitié, l’administration et la diplomatie des princes piémontais ne leur témoignaient ni répulsions ni sympathies. Incapables de s’élever jusqu’à Montesquieu, ne demandant même à Machiavel que les conseils négatifs dont leur inertie pouvait s’accommoder, ils disaient le dernier mot de leur politique intérieure et extérieure lorsqu’ils adoptaient cette paresseuse devise : silence et prudence. Comme si cette race souveraine se fût épuisée dans les lents efforts qui l’avaient conduite à la royauté, elle allait finir comme la maison de Bourbon, sa parente, dans la personne de trois frères sans héritiers, et sa disparition s’annonçait par une décrépitude évidente. Impuissante à rajeunir des institutions politiques qui avaient vieilli avec elle, la descendance directe des anciens comtes de Maurienne végétait dans l’imprévoyance et l’inaction, indifférente à un avenir qui ne lui appartenait pas, livrée au repos absolu, qui était devenu pour elle une condition indispensable d’existence. Son séjour en Sardaigne durant le consulat et l’empire fut comme un mauvais rêve dont elle voulut, à son retour, effacer jusqu’au souvenir. Un trait de plume raya, en 1814, l’œuvre des seize dernières années, Les alliés avaient reconstitué le royaume dans une pensée hostile à la France ; les nouveaux ministres, fidèles à cette pensée, firent à l’esprit nouveau une guerre de barbares. La roue, l’écartèlement, les confiscations reparurent dans la législation, et comme si les lois eussent été, elles aussi, en tant que lois, révolutionnaires à l’encontre du bon plaisir souverain, l’autorité des billets royaux recommença à primer celle des contrats et des jugemens. « Ce furent, disait César Balbo dans son Sommario dllta Storia d’Ilalia, les années les plus sombres et les plus misérables que l’Italie eût jamais traversées. » Le prince n’était plus le représentant de la volonté nationale ; il y avait scission, et l’on en était à s’effrayer de la possibilité d’une rupture.

À mesure que les sympathies de la nation abandonnaient Victor-Emmanuel 1er et Charles-Félix, les deux derniers soutiens de l’ancien régime, elles se réunissaient autour d’un prétendant national et libéral, Charles-Albert. Le bon sens et le naturel sérieux des Piémontais les indisposaient contre les excès de la révolution qui travaillait le pays ; ils se ralliaient avec empressement à un héritier présomptif qui, tout en guérissant les maux d’une longue décadence, devait maintenir l’ordre public et le sauver des périls d’une réaction trop brusque contre une trop longue oppression. La naissance du prince de Carignan lui donnait des droits au trône ; la générosité de ses sentimens et peut-être aussi la simplicité de son éducation lui valaient l’adhésion de tous les partisans des idées nouvelles. Il descendait en droite ligne de Thomas de Carignan, fils de Charles-Emmanuel Ier. Son père avait été garde national à Turin