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et c’est par là que l’abaissement excessif de Charles-Félix servit à relever la royauté en elle-même, et à guider le prince qui allait en être le dépositaire dans des voies plus équitables et plus sensées. Si en effet l’on voulait persister dans l’inhumaine et immorale pratique du despotisme, un archiduc, soutenu par Vienne, pouvait seul être assez fort pour continuer le buon governo, déjouer les menées des républicains, étouffer la révolution. On craignit un instant que le roi, affaibli par l’âge et la maladie, ne cédât aux obsessions qui l’assiégeaient. La monarchie parut perdue ; mais l’indolent et sensuel Charles-Félix avait encore l’instinct de sa race. Il était d’ailleurs honnête homme. Selon lui, si c’était une folie d’accorder une constitution, c’était un crime de la violer une fois qu’elle était accordée, et il ne pardonnait pas à Charles X les ordonnances de juillet 1830. Au moment de mourir, il fit son devoir : Charles-Albert, le compromis, le suspect, le banni, fut appelé auprès du roi, qui, après un long entretien, le désigna comme son successeur.

Toute cette période historique peut se résumer en quelques lignes. Par une coïncidence qui n’est peut-être pas fortuite, les antiques institutions de la monarchie et la vieille branche aînée de la maison de Savoie se trouvent usées en même temps. Un Carignan, comme ailleurs les princes d’Orléans, rejeton d’une branche collatérale, grandit à l’école de l’exil ; le peuple puise dans sa longue souffrance une sévère éducation, et pendant ce temps la dynastie et le régime ancien s’aident l’un l’autre à mourir. La liberté intérieure et l’indépendance nationale s’établissent en principe, et tandis que l’Autriche et Charles-Félix s’unissent pour combattre ces nouvelles idées, on peut déjà entrevoir leur incarnation, pour ainsi dire, dans un roi et dans un peuple nouveaux.


II

Au printemps de 1831, Charles-Albert est roi. Le prince représente l’esprit national : qu’un seul mot soit prononcé, et de grands jours commencent ; mais ce mot, le roi hésite dix-sept ans à le dire. Pourquoi ce long parjure apparent, cette défaillance d’une volonté jusqu’alors constante ? Et pourquoi en 1848 cette subite déclaration de guerre et de principes ?

Lié par des engagemens antérieurs à la cause libérale de 1821, plein de désirs d’agrandissement et d’ambition guerrière, Charles-Albert avait cm pouvoir, à son avènement, opérer une fusion entre deux intérêts solidaires, l’indépendance et la liberté ; d’autre part, entre deux puissances également solidaires, la souveraineté et le peuple. Un seul ennemi, l’Autriche, restant alors à la frontière, il lui semblait que la réalisation de ses projets ne serait plus qu’une