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qu’eux seuls suggèrent au pape ses anathèmes contre les libertés représentatives. Il n’ose attaquer la domination de l’Autriche sur les Légations et sur Rome même ; mais il trouve une occasion d’y toucher indirectement, en réfutant cette opinion, que les papes n’ont jamais été si heureux que lors de leur union avec la France, et il s’écrie : « La grandeur des papes, sinon leur félicité (car la félicité est accidentelle dans la vie humaine), n’est jamais venue et n’a jamais pu venir que de leur indépendance de tout excès d’amitié étrangère, et cette indépendance ne peut naître que de leur union avec le peuple sur lequel s’exerce leur pouvoir temporel. » Ceci, en 1839, était audacieux. En fait, il y a dans certains passages de la Vie de Dante comme une caressante agression, comme une sorte de sommation respectueuse dont la langue italienne peut seule rendre la légèreté de touche et l’indécise nuance. En 1844, les intempéries politiques sont devenues plus clémentes ; l’écrivain s’enveloppe de moins de précautions, et dans ses Speranze d’Italia, il pose nettement une vérité primordiale que l’église ne veut pas voir, et qui la sauverait si elle la voyait : L’Austria non fu guari papalina mai, e meno che mai da Giuseppe II in quà. Il émet le souhait que Grégoire XVI se rapproche de la France, de la France de Louis-Philippe ; il ne dissimule point que ses idées d’indépendance absolue de la papauté, bonnes pour battre en brèche la domination autrichienne, tombent devant les conditions d’existence du pouvoir temporel, et ne se rapportent point par conséquent à des influences plus tolérables ; il écrit en effet : « La France est redevenue la puissance la plus grande, et par cela même la puissance conductrice (duce) du monde catholique. »

On connaît les Speranze d’Italia, livre élémentaire, mais non point fondamental, selon nous, de tout projet de réorganisation italienne. Reconstituer la Méditerranée, selon l’expression de Balbo, et la soumettre tout entière au christianisme par le démembrement de l’empire ottoman ; favoriser l’expansion de la Russie dans l’Asie-Mineure et sur la Mer-Caspienne, et celle de l’Autriche vers les bouches du Danube ; donner une impulsion au grand mouvement de l’Europe vers l’Orient (inorientazione), et pour cela former une coalition entre la France, l’Angleterre, l’Italie et l’Autriche contre la Russie, qu’il faut jeter vers l’Asie afin qu’elle laisse de la place derrière elle ; par là, entre autres effets heureux, affranchir l’Italie : telle est cette conception grandiose, qui a rendu un grand service à la cause italienne, non pas tant par la solution contestable qu’elle donne au problème que par son excellente manière de le poser.

Ce qui nous frappe dans ce plan, c’est que la Russie y est attaquée non pas comme l’ennemie, mais comme la rivale de l’ensemble