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avec Leibnitz au sujet de la priorité de la découverte du calcul différentiel. La forme que le géomètre allemand donna à cette méthode mathématique est celle qui a été universellement adoptée ; elle présente une notation plus simple et plus commode, et, comme M. Biot le montre bien, se prête avec une plus grande facilité aux recherches analytiques. Si l’on compare les deux méthodes au point de vue des services qu’elles ont rendus, il est certain qu’il faut, avec M. Biot et les illustres autorités qu’il cite, donner la préférence à celle de Leibnitz ; mais celle de Newton rachète cette infériorité par ce qu’on pourrait nommer sa perfection métaphysique. Elle est fondée sur l’application de l’idée du mouvement à la génération des formes géométriques, et n’est affaiblie par aucun postulatum, aucune incertitude. La méthode de Leibnitz, qui repose sur la considération des infiniment petits, est par là même, comme tous les géomètres le savent bien, sujette à des objections que personne n’a encore levées complètement, pas plus Auguste Comte que Carnot. Les principes du calcul différentiel, tel qu’on le présente ordinairement, ont besoin d’être vérifiés et justifiés en quelque sorte par les applications : ils ne jouissent ainsi que d’un genre d’évidence imparfait.

Cette abstruse question de la métaphysique du calcul infinitésimal n’était pas celle qui divisait Newton et Leibnitz ; ils se disputèrent la découverte elle-même. L’histoire de leurs fâcheux débats est aujourd’hui trop connue pour qu’il soit nécessaire d’y revenir en détail. On sait que la Société royale s’établit juge entre les deux rivaux ; leur correspondance fut publiée sous le nom de Commercium epistolicum. L’examen des pièces, qui sont entre les mains du comte de Portsmouth, a donné la preuve que Newton fut le véritable éditeur de ce recueil, fait avec une grande partialité. On sait aussi aujourd’hui qu’il en composa lui-même une analyse anonyme pour les Transactions philosophiques. S’il chercha ainsi à influencer ses juges, il eut plus tard d’autres torts, et, après la mort de Leibnitz, il fit réimprimer le Commercium epistolicum avec des changemens et des additions, tout en laissant sur la première page le titre et la date de l’édition primitive. Quand la troisième édition des Principes parut, il supprima un scolie où il avait déclaré que Leibnitz, sous une forme particulière, avait découvert le calcul différentiel en même temps que lui. Si graves que furent les torts de Newton, on ne peut les comparer à ceux de Leibnitz, qui, après avoir consulté Newton sur sa méthode des fluxions, se donna bientôt lui-même comme le seul inventeur du calcul différentiel, qui, après avoir tenté de ravir à son adversaire les découvertes des Principes, les dénigra, les attaqua avec violence, les rangea dédaigneusement parmi les contes de fées, les chimères, qui alla enfin jusqu’à accuser Newton auprès