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MARITIMA



I.
MIGRATIONS


Nos patriam fugimus. (VIRGILE.)


Le navire à son flanc met l’escalier mobile.
Il attend près du môle, en dehors de la ville,
Les hôtes inconnus qui, rangés sous ses mâts,
S’en iront, dès ce soir, vers de lointains climats.
Le long du quai bruyant où s’alignent les poupes,
Ils arrivent en hâte et réunis par groupes.
Étranges voyageurs ! Les destins peu clémens
Ont tout flétri sur eux, visage et vêtemens.
Leur misère s’aggrave au poids de la fatigue :
Tel d’entre eux, épuisé, tombe assis sur la digue.
Leurs yeux éteints, leurs fronts chargés de lourds ennuis,
Disent qu’ils ont marché bien des jours, bien des nuits.
Sous la pluie et le vent, sous les soleils de flamme,
La souffrance à la fois dans le corps et dans l’âme,
Pêle-mêle ils allaient ; ils traînaient par la main
Des enfans demi-nus qui pleuraient en chemin.
Leurs femmes les suivaient, pâles, plusieurs d’entre elles
Portant des nourrissons pendus à leurs seins grêles.
Aux angles de la route, ils lisaient l’écriteau.
Ils s’arrêtaient parfois au portail d’un château,
Et voyaient, à travers le réseau de la grille,
Errer dans les gazons quelque riche famille.