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Ces espaces d’azur qui dans les horizons
Se perdent, cette mer où nagent des maisons,
Ces étranges vaisseaux que le vent, d’un coup d’aile,
Chasse, leur a-t-on dit, ainsi que l’hirondelle !
Sur ce mince navire il faudra se bercer ;
Cette sombre étendue, il faut la traverser ;
Puis, — si Dieu l’a permis, — tomber sur une terre
Qui devant eux, là-bas, dresse un autre mystère !
Descendus sur ton sol, Amérique du Nord,
Que de soucis amers les attendent au bord !
Isolement, faiblesse ; avec la destinée
Lutte de chaque jour, inquiète, obstinée ;
Asile à découvrir, marches dans le désert ;
Forêts où, plein d’effroi, le voyageur se perd ;
Et les travaux sans fin du soc et de la hache ;
Et, fléaux non prévus que l’avenir leur cache,
Ces fièvres, ces poisons bus dans un air subtil !…
Du peuple entier qui part un seul reviendra-t-il ?
De ces femmes, hélas ! combien resteront veuves,
Assises sans défense au bord des vastes fleuves !
Et de ces orphelins combien, trop tôt vieillis,
Sous un arbre au désert seront ensevelis !


Sur le pont cependant une voix les appelle.
Ils y montent d’un pied qui vacille à l’échelle.
Ainsi qu’un vil troupeau, vers la proue, à l’écart,
Ils vivront refoulés. — L’ancre est levée, on part.
On s’en va sur la mer solitaire et profonde,
Dont les ombres du soir déjà brunissent l’onde,
Le vent qui s’est levé dans la voile à grand bruit
Annonce que les flots grossiront cette nuit.
Eux, mornes, accoudés le long des bastingages,
D’un œil chargé de pleurs voient s’enfuir les rivages ;
Ils murmurent tout bas quelques tristes adieux ;
Car on t’aime, ô patrie, ô terre des aïeux,
On t’aime d’un amour que rien ne peut abattre,
Que tu sois tendre mère ou cruelle marâtre !