Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Si loin du doux pays, errans sur cette grève,
À cette heure où la chair et l’âme ont le frisson,
Nous allions, oppressés et croyant faire un rêve,
Et de nos propres voix nous retenions le son !

À nos yeux tout à coup, sur la pierre isolée,
Au plus triste recoin du sinistre tableau,
Une image imprévue, étrange, désolée,
S’offrit : — un couple humain vivant au bord de l’eau.

Farouches, demi-nus, la peau sèche et brunie,
Tous deux reposaient là, dans l’horreur de ce lieu,
Homme et femme, souffrance à la souffrance unie,
Livrés dans leur misère à la merci de Dieu !

Leur demeure auprès d’eux se dressait : humble hutte ;
Tendu sur trois roseaux, un haillon sans couleur
Que le.vent secouait et menaçait de chute…
Les chacals au désert ont un abri meilleur.

Sur la roche, un feu pâle, obscurci de fumée,
Où cuisait à l’écart je ne sais quel repas.
Pour nourrir ses tisons, l’étrangère affamée
Cherchait quelque bois mort qu’elle ne trouvait pas.

Assis sur le roc nu, — silencieux et morne,
L’homme penchait son front vers ses maigres genoux.
Son œil, qui regardait à l’horizon sans borne,
À peine et froidement se détourna vers nous.

Au vêtement chétif dont leur corps s’enveloppe,
À leur front, noble encor sous tant de pauvreté,
On retrouvait le sceau de la race d’Europe,
Et dans leur dernier geste une ancienne fierté.

Leur nom ? d’où venaient-ils ? quelle fortune amère
En ce désert maudit les égara tous deux ?…
Voyageurs, sûmes-nous, l’Ecosse était leur mère ;
Mais pas un mot de plus ne fut obtenu d’eux.

Énigme dont le poids reste au cœur et l’oppresse !
Quel désir insensé, quel crime ou quel amour
Les avait amenés, de détresse en détresse,
Jusqu’à cet abandon suprême et sans retour ?