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choisi ; c’est justement celui dont la caricature a rendu le type sénile si populaire, qu’on ne peut s’empêcher, en pensant à lui, de le voir sous la forme du plus décrépit des Gérontes. On ne demande pas seulement en France le concours des complaisans pour répandre contre nous cette foudroyante accusation : de nous ne savons quelle officine parisienne partent pour l’étranger des billets anonymes de faire part où l’on proclame notre vieillesse et la jeunesse des autres. Il n’y a qu’un malheur, c’est qu’à l’étranger ce système de notes et de manœuvres secrètes se trompe d’adresse. L’Europe éclairée est un auditoire d’élite, grossissant sans cesse, que la Revue a conquis, il lui est permis d’en être fière, et dans les sympathies duquel elle puise une précieuse force. Ces sympathies, nous les retrouvons dans tous les organes de la presse étrangère qui ont quelque distinction, quelque goût de l’indépendance, qui vivent enfin, et qui sont écoutés et respectés. Ils nous révèlent eux-mêmes les manœuvres sournoises employées contre nous, et auxquelles ils refusent de s’associer. Ils savent aussi bien que nous que c’est à notre libéralisme que nous sommes redevables de ces mesquines et secrètes persécutions auxquelles nous avons peut-être tort de prendre garde, tant elles sont ridicules ; mais nous n’ayons pu tenir à la singularité de cette accusation de vieillesse qu’on a l’adresse maligne de diriger contre nous, en nous opposant qui ? des noms d’hommes fort mûrs et de respectables burgraves de la politique ou de la littérature, qui ne se sont rajeunis que par de très récentes conversions ; en nous opposant quoi ? le culte aveugle de ce qui brille dans le présent, à nous qui pensons que la véritable jeunesse n’est jamais folle du présent, et ne doit y rechercher que les élémens avec lesquels elle devra faire l’avenir, qui seul a droit de l’attirer.

Qu’on nous permette, pour aller de la France à l’étranger, de passer légèrement sur les bruits relatifs aux affaires d’Italie, qui tiennent, suivant nous, une trop grande place dans les préoccupations du moment. Notre raison se refuse à croire à ces vaines et belliqueuses rumeurs, mais nous ne pouvons méconnaître la fâcheuse influence qu’elles exercent sur le monde des affaires. Sans doute la situation de l’Italie est si irrégulière que l’attention des gouvernemens doit épier les incidens qui pourraient se produire dans ce malheureux pays. Dans l’hypothèse d’éventualités qu’il est sage de prévoir, il n’est pas moins sage de prendre certaines précautions ; mais c’est évidemment commettre une méprise que de confondre les préparatifs de la prudence avec les desseins prémédités d’une initiative aventureuse. Nous nous efforçons, pour notre part, d’éviter cette erreur ; nous nous souvenons aussi que l’Italie a donné lieu à d’autres émois qui se sont calmés. Nous n’avons pas oublié qu’en 1853, au moment où allait éclater la lutte de la Russie et de l’Occident, certains hommes d’état des plus expérimentés de l’Europe ne croyaient point à une crise orientale, mais regardaient comme imminente une explosion générale en Italie, accompagnée naturellement de toute sorte de complications européennes. Il y a cinq ans de cela, et il n’y a rien eu en Italie : l’Orient a fait diversion aux questions italiennes, et qui sait si quelque incident oriental n’écartera pas encore une fois ces conflits terribles dont la menaçante perspective paralyse aujourd’hui parmi nous les grandes opérations commerciales et industrielles ? C’est beaucoup de gagner du temps, c’est beaucoup même pour la bonne solution des questions enga-