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l’empire turc ne pourront pas de longtemps avoir trouvé les conditions stables et régulières d’un bon gouvernement. Ces races manquent encore peut-être des qualités de gouvernement. C’est l’excuse de leurs agitations ; malheureusement leurs agitations sont un péril non-seulement pour elles-mêmes, mais pour l’Europe. Nous pensons sans doute qu’il faut attendre des populations chrétiennes la régénération de l’Orient ; mais l’œuvre que l’Europe occidentale veut confier à ces populations sera lente. Avant d’arriver au résultat poursuivi, il faudra traverser une transition longue et laborieuse.

Les populations chrétiennes placées entre la Russie et Constantinople, non par leur faute, mais par suite des conquêtes successives qui les ont bouleversées et désagrégées, sont devenues pour ainsi dire des détritus de races, des épaves de nationalités, quelque chose d’hétérogène et d’anarchique. Avant que ces élémens divers se soient repétris et refondus, il est certain qu’entre la Russie et Constantinople les populations chrétiennes ne formeront qu’une barrière illusoire et tout à fait insuffisante. Cet état anarchique à une part et cette insuffisance actuelle à défendre les conditions d’équilibre qui leur seront confiées un jour créent à la fois pour l’Autriche et un danger réel et un rôle efficace à jouer vers le Bas-Danube. C’est ce rôle nécessaire et préservateur de grands intérêts européens que nous voyons avec peine compromis par les difficultés que l’Autriche affronte en Italie. Les troubles de Servie inspirent naturellement ces réflexions. Ce n’est pas que nous considérions la révolution qui vient de substituer le vieux Milosch au prince Alexandre comme un événement précisément hostile à l’Autriche. La faiblesse d’esprit et de caractère qu’a montrée au pouvoir le prince Alexandre enlève tout intérêt à sa chute. Les amis de la Servie et des tendances libérales ne peuvent voir qu’avec satisfaction l’initiative prise par M. Garachanin dans la révolution serbe. M. Garachanin est le chef du libéralisme en Servie, et à ce titre il a encouru longtemps la défaveur et les persécutions de la Russie. Il ne faut pas oublier qu’un des objets de la fameuse mission du prince Menchikof à Constantinople fut d’obtenir la destitution de M. Garachanin, qui était alors ministre du prince Alexandre ! Nous espérons donc que M. Garachanin, fidèle à ses antécédens, saura maintenir, à travers la révolution qu’il a conduite, l’indépendance de son pays ; mais, quelque bon augure que nous puissions tirer des événemens de Belgrade, la fermentation qui travaille les populations du Bas-Danube demeure un des faits, sinon inquiétans, du moins sérieux de la situation de l’Europe. C’est là que peuvent se consolider ou s’évanouir les résultats obtenus par la dernière guerre. L’œuvre de cette guerre a besoin de la paix pour se confirmer et devenir quelque chose de durable. Il y aurait de la part de l’Autriche, aussi bien que de l’Angleterre et de la France, une grande imprévoyance à compromettre cette œuvre délicate par de nouvelles aventures dont le contre-coup en Orient serait inévitablement de détruire ce que l’on a cherché à y faire de 1853 à 1856.

Que dire de la Prusse, sinon qu’elle attend l’ouverture de son parlement au milieu de ces joies des fêtes de Noël, si chères à l’Allemagne, et plus aimables et plus touchantes encore dans ce pays que ce christmas des Anglais, dont notre ami Alphonse Esquiros racontait, il y a quelques mois, le bonheur familier avec la bonhomie sensible et gracieuse d’un Goldsmith français ? La session du parlement va s’ouvrir ; nous en suivrons avec curio-