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le moment d’entrer dans le Raz-Blanchard. L’anse a peu de valeur comme elle est, elle en a beaucoup par ce qu’elle peut être. La nature y a tout ébauché, rien n’est complet. Des brisans, que signale au loin le bondissement des lames, ressemblent à des fondations de digues à venir : on dirait des constructions commencées, qui, tant qu’elles sont à fleur d’eau, ne forment que des écueils. Tels sont, à l’est, le banc auquel les grandes roches de Martiauroc et de la Parmentière servent de musoirs, et à l’ouest la Basse du Fliart, orientée est-nord-est. Ces bancs sont trop bas pour constituer une bonne défense : les lames amoncelées par les vents du nord les franchissent, et, retombant lourdement en arrière, se propagent par larges ondulations dans tout le mouillage ; mais ils sont disposés de la manière la plus favorable à l’assiette d’un excellent abri, et s’ils étaient surmontés de digues insubmersibles, le mouillage ne laisserait rien à désirer. Les fondations, qui sont d’ordinaire la partie la plus dispendieuse des travaux à la mer, ne seraient pas moins faciles à l’anse de Saint-Martin qu’à Omonville ; le luxe de pierres de taille de Cherbourg y serait déplacé : la rusticité des constructions n’en exclut pas la solidité, et elle serait ici en harmonie avec la sauvage beauté des sites. Il faudrait s’y contenter des blocs bruts du granit qu’offrent la côte et les écueils du voisinage. Dans ces conditions, la dépense des brise-lames sera peu de chose en comparaison de l’utilité produite ; la valeur des bâtimens sauvés couvrira promptement celle des travaux exécutés dans des lieux si tourmentés par les tempêtes, et si exposés, en cas de guerre, aux entreprises ennemies. Le brise-lames de l’est aurait 900 mètres de long, celui de l’ouest 600 ; appuyés l’un et l’autre sur des roches séparées du rivage, ils laisseraient sur les côtés deux passes praticables aux bâtimens de flottille et aux bateaux de pêche. La passe du milieu aurait 750 mètres de large, dont 200 à l’est, occupés par des basses, et elle s’ouvrirait sur un beau chenal bordé d’écueils sous-marins, ce qui n’est point un désavantage en temps de guerre. L’espace couvert serait en somme de 240 hectares, dont un tiers propre au mouillage des vaisseaux et des frégates, un tiers propre à celui des bâtimens de commerce, et un tiers à celui des bateaux de pêche. Le premier projet de Vauban sur Cherbourg n’en aurait pas compris davantage.

Lutter à La Hague avec le luxe de fortifications d’Aurigny, ou compliquer le système de défense par l’adjonction d’accessoires faits pour tenter l’ennemi et lui profiter en cas de malheur, serait se donner un embarras gratuit. Ouverts en vue de la rade de Cherbourg, le Hable d’Omonville et l’anse Saint-Martin en sont des prolongemens, rien de moins, mais rien de plus. L’arsenal de Cherbourg