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fait unique dans le département de la Manche. En y considérant, abstraction faite de cette contrée, les mouvemens de la population pendant trente années, de 1826 à 1856, on la voit gagner 25,792 âmes dans les cantons de Cherbourg et d’Octeville, qui comprennent Cherbourg et ses faubourgs, et descendre, dans le surplus du territoire, de 565,362 âmes à 526,277, c’est-à-dire de près d’un quatorzième. Les villes n’ayant point diminué, c’est sur les campagnes qu’a porté l’amoindrissement, et la partie de la population qui est allée chercher fortune au loin n’était sans doute pas la moins vigoureuse. De pareils résultats seraient fâcheux partout ; mais quand ce sont les appuis immédiats d’un grand établissement national qui faiblissent, un danger lointain se révèle, et aucun des soins propres à le conjurer ne peut être épargné.

On ne guérit que les maux dont on connaît à fond les causes. Ici les causes doivent être fort diverses, et une enquête attentive, canton par canton, ne serait pas de trop pour déterminer la puissance et la portée de chacune d’entre elles. L’attraction exercée par les travaux de Cherbourg suffit d’autant moins à tout expliquer qu’elle s’affaiblit en s’éloignant de son foyer, et que le tort qu’elle a pu faire à la culture en lui disputant les bras est compensé, sur des points nombreux, par l’élargissement des anciens débouchés. En l’absence des documens précis que fournirait la tenue à jour du cadastre, un fait général dont l’influence pourrait être grande appelle l’examen en première ligne. Le département de la Manche est baigné sur les trois cinquièmes de son périmètre par le gulf-stream, ce grand courant océanien qui, se dirigeant du cap de Bonne-Espérance sur le golfe du Mexique, apporte aux côtes du nord-ouest de l’Europe une partie de la chaleur dont il se pénètre dans son circuit au travers de la zone torride : le ciel y est à demi voilé l’été, réchauffé l’hiver, par les vapeurs tièdes dont sont chargés les vents de mer ; des pluies douces en imbibent continuellement le sol. De là résultent une admirable aptitude à la production de la verdure et une extrême facilité pour la conversion des terres labourées en herbages. L’accroissement progressif du prix de la main-d’œuvre et de la consommation de la viande a, depuis trente ans, attaché des avantages considérables à ces transformations, des champs, et le nombre des bras employés à la culture a dû diminuer dans la même proportion que celui des terres arables remplacées par des herbages. Les calculs d’un simple voyageur sur un pareil sujet n’ont pas plus d’autorité qu’il n’a eu de moyens d’en déterminer les bases avec précision ; mais quand ce voyageur a parcouru la contrée à des intervalles éloignés, il lui est permis d’affirmer que l’aspect en a sensiblement changé, que le paysage est devenu plus vert dans beaucoup