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eurent le sort inattendu que leur firent Louis XIV et Louvois, le bienfait des nouvelles conditions d’existence dont il dota la ville fut définitivement acquis. Cherbourg jouit depuis cette époque de la plus parfaite salubrité. Une vingtaine d’années avant l’intervention de Vauban, Colbert avait envoyé de jeunes ouvriers à Venise pour en rapporter l’art de fabriquer des glaces ; il les établit aux portes de Cherbourg, à Tourlaville, où pouvait être bien placée, quand les montagnes environnantes étaient couvertes de bois, une industrie qui en consomme beaucoup. Cette manufacture était une de celles que les Anglais voulaient absolument brûler en 1758, et qu’ils se contentèrent de mettre à rançon : devenue une succursale de celle de Saint-Gobain, elle donnait en 1780 du travail à cinq cents ouvriers, et n’a été supprimée que de nos jours, lorsque la rareté du bois ne lui permettait d’exister qu’à des conditions onéreuses. M. Le Peletier, dans son inspection des côtes de l’Océan, trouva en 1700 à Cherbourg une population de 4,200 habitans, et le matériel naval du port comprenait trente bâtimens de 50 à 300 tonneaux. Coulomb, de l’Académie des sciences, appelé dans sa jeunesse, c’est-à-dire vers 1760, à Cherbourg, par les fonctions d’officier du génie, en évaluait le nombre d’habitans à 6 ou 7,000, et remarquait que celui des décès y était annuellement de 220. Le port possédait alors 20 navires de long cours et 35 caboteurs. Le marché local était peu de chose, et l’on ne naviguait au loin que pour le compte d’autrui. On se rendait sur lest en Amérique, et l’on en revenait chargé pour le commerce du Havre, de Nantes et de Bordeaux[1].

De cette époque au temps où les travaux du port militaire furent entrepris, la population demeura stationnaire : elle s’accrut promptement sous l’impulsion qui fut donnée à ces travaux. Des ouvriers de toutes professions accoururent en foule, les approvisionnemens des ateliers, l’entretien des travailleurs devinrent les objets d’un commerce considérable ; mais il était impossible de distinguer dans ces masses flottantes ce qui n’était que passager de ce qui devait se fixer, et l’on ne put avoir quelques notions exactes à ce sujet qu’au recensement de 1797, qui, venant à la suite de huit années d’interruption des travaux, ne comprenait guère que le résidu qu’ils avaient formé. La ville comptait alors 11,362 habitans. Elle en avait peu perdu en 1803 ; mais elle entra aussitôt dans une nouvelle période ascendante, dont le dernier terme est le seul qu’il importe de signaler ici : elle possédait au recensement de 1856 une population de 27,159 âmes, et en négligeant les singularités des délimitations administratives, il y faudrait ajouter 5,511 habitans du faubourg

  1. Documens du dépôt des fortifications.