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avait mis en dépôt tout son avenir. Nous avons dit sous quelles influences s’était engagée en 1742 la guerre de la succession d’Autriche[1], et l’on a vu comment le cabinet de Versailles, au mépris de la garantie solennellement donnée par lui à la pragmatique de l’empereur Charles VI, s’était embarqué dans une aventure qu’on croyait l’affaire d’une campagne, quoiqu’elle tendît à rayer l’un des plus grands états de l’Europe de la liste des nations. Après la vaine gloire d’avoir porté la couronne du saint-empire dans la maison de Bavière, il restait à la France une tâche moins facile : c’était celle de soutenir l’empereur qu’elle avait fait contre l’opposition de la majeure partie de l’Europe, déjà en armes pour le renverser. La question successoriale soulevée par la mort de Charles VI, sans héritier mâle, n’intéressait au fond que le roi de Prusse, non que ce prince, comme on avait la bonhomie de le croire à Versailles, attachât une bien haute importance à priver de la dignité impériale la maison de Habsbourg-Lorraine et qu’il prît grand souci du sort de l’électeur bavarois dont le maréchal de Belle-Isle avait fait l’empereur Charles VII, mais parce que Frédéric était résolu à profiter d’une occasion aussi opportune pour élever la Prusse, par l’adjonction de la Silésie, au rang des grandes puissances de l’Europe. Son sens droit ne dépassa jamais ce but, parfaitement défini, et pour lequel on le vit si longtemps jouer son trône et sa vie.

Après les succès de sa première campagne, Frédéric II s’était empressé de traiter une première fois avec Marie-Thérèse, rendue pour quelque temps facile par ses malheurs, et ce prince avait abandonné la France avec un cynisme fort embarrassant pour l’enthousiasme de ses correspondans parisiens. Ce fut ainsi que les Français, entrés d’abord en Allemagne à titre d’auxiliaires des Prussiens, se trouvèrent bientôt engagés comme partie principale dans un conflit européen sans aucun intérêt direct à sauvegarder, et n’ayant d’autre but à poursuivre que celui de protéger un fantôme d’empereur sous les pas duquel se dérobait l’empire. Jetée au fond de la Bohême par une guerre dont la défection soudaine du roi de Prusse avait changé toutes les conditions, l’armée française, renfermée dans la capitale de ce royaume sous le commandement des maréchaux de Broglie et de Belle-Isle, n’eut plus qu’à retarder par une constance héroïque une catastrophe inévitable. La retraite de Prague au cœur de l’hiver, les neiges ensanglantées d’Égra, des luttes jusqu’alors sans exemple contre les élémens conjurés avec les hommes, tous ces sombres tableaux apparaissaient aux imaginations attristées teints des couleurs du ciel inclément sous lequel ils s’étaient déroulés. Aussi, dès la campagne de 1743, la France s’était-elle

  1. Voyez le Ministère du cardinal de Fleury, livraison du 15 août 1858.