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Pompadour, il constate l’habileté de la femme qui avait su faire des jours inoccupés de Louis XV une suite de surprises et d’enchantemens. — Comme le temps passe ! disait chaque soir Schahriar à Scheherazade.

Quand les premières atteintes de l’âge eurent pâli la beauté de la sultane et que l’espoir fut rentré au cœur de nobles dames aspirant à la supplanter, on sait trop par quel enchaînement de manœuvres Mme de Pompadour parvint à conserver la direction des plaisirs du monarque, lors même qu’elle eut cessé d’en être l’instrument[1]. Se choisir d’obscures rivales, reines d’une nuit, dont la couronne flétrie tombait au matin, traiter avec l’infâme Mercure de ces amours vénales et devenir soi-même la Lucine de leurs fruits clandestins, tel fut, durant les six dernières années de sa vie, le sort de la femme qui régnait sur le royaume, changeait le système de ses alliances, lui donnait ses ministres et ses généraux. La révolution qui transforma la surintendante des plaisirs du prince en chef de son cabinet fut à la fois imprévue et à peu près inévitable. Dans Louis XV en effet, le roi était inséparable de l’homme, et pour conserver son ascendant sur celui-ci, Mme de Pompadour dut se trouver conduite à dominer celui-là. Ce fut ainsi que pour demeurer favorite elle devint premier ministre.

Sitôt que la cour et le conseil eurent acquis la certitude que cette jeune femme travaillait à transformer une fantaisie en habitude durable, la plus formidable opposition s’organisa contre elle. On avait vu les ministres se partager. Pendant que M. de Saint-Florentin, avec la docilité héréditaire des Phélypeaux, s’inclinait devant le choix du monarque, et que M. de Puysieux, successeur du marquis d’Argenson aux affaires étrangères, secondait avec une soumission empressée les vues pacifiques de Mme de Pompadour, le contrôleur-général s’irritait d’avoir à couvrir en même temps et les charges accumulées par une longue guerre et les prodigalités quotidiennes dont un adroit calcul suggérait le goût à Louis XV. Économe jusqu’à l’avarice de son pécule personnel, grossi chaque jour par les profits d’un jeu effréné, le roi signait d’innombrables acquits au comptant avec la plus complète insouciance. Orry tenta d’opposer à cet entraînement une résistance qui l’honore, et Mme de Pompadour

  1. M. Lacretelle et M. de Sismondi ont pu exagérer les dépenses du Parc-aux-Cerfs en les portant à plus de 100 millions et en répétant les affirmations de Soulavie dans les Mémoires du duc de Richelieu ; mais l’on croit vraiment rêver en voyant un historien pousser le cynisme du paradoxe jusqu’à nier, dans une récente apothéose de Mme de Pompadour, l’existence même du Parc-aux-Cerfs, en présence des détails multipliés donnés par Mme Du Hausset sur les relations journalières de sa maîtresse avec le valet de chambre Le Bel, intendant en chef de cette triste demeure. (Mémoires, p. 106 à 115.)