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dut briser le contrôleur-général afin de garder la libre disposition de ce trésor public, qui était en effet nécessaire au maintien de son empire. À Orry révoqué succéda M. de Machault d’Arnouville, administrateur éminent qui a mieux, pour se recommander dans l’histoire financière, que la constante faveur de Mme de Pompadour[1]. Celle-ci eut la main moins heureuse lorsqu’elle remplaça M. de Maurepas par l’intendant Rouillé. La favorite avait été provoquée à opérer cette mutation, non par l’insuffisance trop constatée du secrétaire d’état de la marine, mais par une injure que ni sa position ni son sexe ne lui permettaient de pardonner : il fallait en effet quitter la cour ou bien arracher son portefeuille à l’audacieux railleur qui avait osé médire de ses charmes.

L’issue de la lutte avec le comte d’Argenson fut plus longtemps incertaine. Un antagonisme des plus vifs avait séparé dès l’abord le ministre de la guerre et la maîtresse : d’Argenson en effet, tout plein du sentiment de son importance, aspirait ouvertement au rôle de premier ministre, qu’il attendait de la confiance spontanée du roi, lorsqu’un tel rôle ne pouvait être concédé qu’à huis-clos par sa faiblesse. Ce fut seulement après l’attentat de Damiens, lorsque M. d’Argenson eut témoigné au dauphin une déférence mal appréciée par les ombrageuses susceptibilités du roi son père, que Mme de Pompadour se sentit assez forte pour lui porter le dernier coup. En 1757, ce ministre dut quitter le conseil, et à partir de ce jour, qui marqua pour la marquise l’apogée de sa puissance, il ne se rencontra personne assez libre pour y porter des paroles qu’elle n’avait point inspirées.


III

Si le besoin de garder seule l’oreille du maître explique fort bien comment Mme de Pompadour passa de la direction de ses plaisirs à celle de ses affaires, la révoltante immoralité de sa position laisse deviner dans quel sens elle dut exercer un pouvoir qui fut toujours une égide pour sa personne. Malgré la dépravation du temps, le scandale d’un adultère public et d’une fortune entretenue par les plus hideuses complaisances avait rallié tous les cœurs honnêtes à la malheureuse princesse condamnée à épuiser la coupe de toutes les humiliations. En s’imposant à Marie Leczinska comme dame de son

  1. « Madame avait de l’amitié pour M. de Machault, nous dit Mme Du Hausset, car il avait eu l’obligeance de faire régler son traitement et de payer ses dettes. » (Mémoires, page 60.) Mme de Pompadour avait donc des dettes malgré son traitement et des revenus annuels qui touchaient à 1,500,000 francs, selon l’affirmation de M. Lacretelle, appuyée sur des indications qui paraissent précises. (Histoire de France au dix-huitième siècle, t. III, p. 154.)