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même dans les arts. Si Mme de Pompadour n’avait fondé cette royale manufacture de porcelaine, gracieux et symbolique monument de son apparition dans l’histoire, on pourrait dire certainement que les tapissiers lui doivent plus que les artistes, car l’ornementation la toucha toujours beaucoup plus que la plastique. Jouer la comédie à Crécy et à Brimborion, user dans une heure de désœuvrement du pinceau, du touret ou de la presse pour dessiner des amours, graver quelques pierres fines ou imprimer des vers sur papier rose, ce sont là des fantaisies, ce ne sont point des services rendus à l’art. Les dévots de la marquise, car une telle divinité a des fanatiques, feront bien de ne pas trop orner l’autel, et à une statue en marbre de Carrare de substituer une statuette en biscuit de Sèvres.

C’est ici surtout que la mesure est nécessaire pour ne pas soulever la conscience publique, disposée à se laisser fléchir. Que l’on recommande Mme de Pompadour en rappelant la sûreté et la constante bienveillance de son commerce, sa fidélité au roi et à ses amis, que l’on invoque l’espèce d’ignorance invincible dans laquelle naquit et vécut une malheureuse femme prédestinée à l’adultère dès le berceau, cela se peut en toute convenance, peut-être en toute justice, surtout lorsque le bénéfice des circonstances atténuantes est réclamé pour une aussi charmante accusée par un avocat tel que M. Sainte-Beuve. Malheureusement les imitateurs en grâces légères n’ont point toujours le pas assez preste pour emboîter celui du maître, et là où l’un réclame l’indulgence, les autres veulent l’admiration. Puis, par une conséquence assez naturelle, on passe de la défense de la royale favorite à celle de la société et du temps qui virent de telles ignominies, et qui seuls les avaient rendues possibles. L’on se hasarde alors à des comparaisons entre nos jours et ceux de Louis XV, qu’on voudrait rendre bien humiliantes pour la société issue de la révolution française. Ici s’élèveraient, si l’on avait le loisir de les aborder, des questions tristes et sérieuses qui toucheraient moins au XVIIIe siècle qu’au nôtre. De telles tentatives ne se font jamais sans quelque espoir d’être bien accueillies, et c’est trop pour la génération actuelle que de n’avoir pas découragé dès l’abord de semblables audaces.


L. DE CARNE.