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trouva à neuf heures, derrière cette haie, dans la rue déserte et inachevée où les réverbères n’avaient pas encore été installés, et sur les talus de laquelle poussaient encore les orties et les folles herbes, c’est ce que lui-même eût été embarrassé d’expliquer.

La haie était fort épaisse, et Laurent tourna sans bruit tout autour, sans apercevoir autre chose que des feuilles légèrement dorées par une lumière qu’il supposa placée dans le jardin, sur une petite table auprès de laquelle il avait l’habitude de fumer quand il passait la soirée chez Thérèse. On fumait donc dans le jardin ? ou on y prenait le thé, comme cela arrivait quelquefois ? Mais Thérèse avait annoncé à Laurent qu’elle attendait toute une famille de province, et il n’entendait que le chuchotement mystérieux de deux voix, dont l’une lui paraissait être celle de Thérèse. L’autre parlait tout à fait bas : était-ce celle d’un homme ?

Laurent écouta à en avoir des tintemens dans les oreilles, jusqu’à ce qu’enfin il entendit ou crut entendre ces mots dits par Thérèse : — Que m’importe tout cela ? Je n’ai plus qu’un amour sur la terre, et c’est vous !

— À présent, se dit Laurent en quittant précipitamment la petite rue déserte et en revenant sur la chaussée bruyante des Champs-Élysées, me voilà bien tranquille. Elle a un amant ! Au fait, elle n’était pas obligée de me confier cela !… Seulement elle n’était pas obligée de parler en toute occasion de manière à me faire croire qu’elle n’était et ne voulait être à personne. C’est une femme comme les autres : le besoin de mentir avant tout ! Qu’est-ce que ça me fait ? Je ne l’aurais pourtant pas cru ! Et même il faut bien que j’aie eu la tête un peu montée pour elle sans me l’avouer, puisque j’étais là aux écoutes, faisant le plus lâche des métiers, quand ce n’est pas un métier de jaloux ! Je ne peux pas m’en repentir beaucoup : cela me sauve d’une grande misère et d’une grande duperie : celle de désirer une femme qui n’a rien de plus désirable que toute autre, pas même la sincérité !

Laurent arrêta une voiture qui passait vide et alla à Montmorency. Il se promettait d’y passer huit jours et de ne pas remettre les pieds chez Thérèse avant quinze. Cependant il ne resta que quarante-huit heures à la campagne, et se trouva le troisième soir à la porte de Thérèse juste en même temps que M. Richard Palmer.

— Oh ! dit l’Américain en lui tendant la main, je suis content de voir vous !

Laurent ne put se dispenser de tendre aussi la main ; mais il ne put s’empêcher de demander à M. Palmer pourquoi il était si content de le voir.

L’étranger ne fit aucune attention au ton passablement imperti-