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à s’exempter personnellement de l’impôt. La ruine atteignit ainsi les communes sous Louis XIV, comme elle avait frappé les curiales sous l’empire romain.

À l’aide d’une inscription conservée à Lyon, M. Léon Renier a récemment cherché à préciser les attributions, encore peu connues, des curateurs de la république ou délégués extraordinaires du pouvoir central. Selon le savant épigraphiste, les curateurs étaient chargés de surveiller l’administration financière des municipes, et les cités ne pouvaient sans leur autorisation aliéner une partie de leur domaine ni entreprendre des constructions considérables[1]. Les biens de la curie étaient fort importans. Ils se composaient de ceux qu’elle possédait dès l’origine de sa formation, ancienne ou récente ; de la portion de l’ager publicus qui était donnée au municipe en dehors de celle qui était attribuée aux esclaves lors de la fondation d’une colonie ; des recettes de l’octroi et du péage, vectigalia ; des carrières de pierre, de craie, de sable, et des mines que la curie faisait exploiter par des gérans ou des fermiers. Ils se composaient encore du produit des legs et donations et de la succession des curiales décédés ab intestat, des fonds de terre ou possessions incultes, latifundia, désertés par les contribuables pour échapper aux charges écrasantes du fisc, et qui étaient dévolus aux municipes, comme si, en revenant à la cité, les biens individuels laissés par les curiales ou abandonnés par les contribuables retournaient à leur source primitive.

M. Rivière a été frappé de la coexistence de certaines corporations qui se plaçaient à côté de la municipalité gallo-romaine ; mais il n’a peut-être pas assez accusé la ligne qui les séparait de l’autonomie de celle-ci. On voyait en effet à cette époque, et dès longtemps, des corporations, des hétairies ou collèges, des établissemens publics comme de nos jours, collegia corporatorum. Eux aussi avaient leurs biens et leur administration particulière ; mais ce n’étaient là que des créations de la loi. Pour les instituer, il fallait un sénatus-consulte ou un rescrit impérial, tandis que le municipe existait par lui-même, et ne devait la vie à aucun acte législatif. Telle est encore aujourd’hui la commune au milieu des hospices, des fabriques d’églises et des autres établissemens publics. La théorie de M. de Martignac et des légistes modernes n’est donc pas une pure conception philosophique ; elle se vérifie d’une manière éclatante par l’histoire des institutions municipales, en même temps qu’elle indique combien étaient profondes les racines qui les attachaient au sol gallo-romain.

  1. Mélanges d’épigraphie, Paris 1854, p. 41 et suiv.