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Mais que restera-t-il de cette constitution du municipe après l’invasion ? que seront devenus les latifundia et les autres biens de la cité romaine ? Nous touchons ici à la période historique la plus avare de documens ; il semble que la nuit ait couvert cette fusion de deux grands peuples : si le flambeau du christianisme n’avait pas traversé ces ténèbres, il faudrait renoncer à découvrir la plus légère trace de la société romaine à cette époque. Heureusement l’église était du côté des vaincus ; elle sauva leur liberté et une partie de leurs institutions. Deux choses paraissent avoir préservé le municipe romain de l’anéantissement : l’influence des évêques au sein des administrations locales, et le dépôt qui leur était confié des registres d’insinuation ou d’inscription des actes privés. Dans son Histoire des biens communaux, M. Rivière a eu raison d’insister sur ce dernier fait, même après les fouilles archéologiques de Raynouard et les estimables travaux de M. Le Ber, car il révèle à merveille le rôle important qui était réservé au bureau municipal dans la nouvelle société. Presque tous les contrats qui intervenaient entre citoyens romains devaient être inscrits sur les registres municipaux, apud acta municipalia ; de ce nombre étaient les donations, qu’on voulait par cette formalité soustraire à la fraude, les actes d’adoption, qui se faisaient devant la curie assemblée, l’inventaire des biens pupillaires, les testamens, les ventes et presque tous les actes de la vie civile, de telle sorte que les archives municipales renfermaient la fortune de toutes les familles. C’est sur ce dépôt que le Romain porta les regards au moment de l’invasion. Le Barbare le laissa subsister parce qu’il n’avait aucun intérêt à le détruire, et plus tard il vint lui-même soumettre les actes importans de sa vie à la formalité de l’insinuation. « Cette nécessité, dit très bien M. Rivière, de recourir aux curiales pour faire dresser et valider des actes importans, le lien qui attacha chaque citoyen à la municipalité, gardienne et dépositaire de ses titres, empêchèrent le régime municipal d’être englouti dans l’inondation des Barbares, et contribuèrent puissamment à sauver quelques restes de liberté et de civilisation, et à rallier autour de la curie tout ce qu’il y avait en Occident, et en particulier dans les Gaules, d’hommes intelligens et éclairés. La municipalité fut comme l’arche qui conserva, durant ce nouveau déluge, le dépôt de la loi et de la civilisation, pour le rendre dans des temps meilleurs. »

Jusqu’au Xe siècle, les diplômes, attestent que le municipe romain survit encore dans l’exercice de cette importante fonction ; il survit également dans certaines localités par sa libre administration, et résiste à la puissante assimilation de la féodalité ; il a longtemps conservé ses biens ou ce qui lui en était resté, car une nouvelle