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Mais ce même Rhin restait à passer. L’alliance avait encore à aller dresser ses tentes dans le pays de la théologie scientifique : elle devait rendre sur leur propre sol aux délégués de l’Allemagne les visites qu’elle avait reçues d’eux. Berlin a donc été choisi pour le rendez-vous annuel en 1857. On sait que dans cette ville, où la philosophie rationaliste a pris, il y a près d’un siècle, un si grand essor, où par ses conséquences elle domine encore dans le public, quoiqu’elle brille d’un moindre éclat dans le monde savant, une réaction luthérienne a pris naissance, qui, semblable à l’anglo-catholicisme, a dépassé les bornes de l’ancien et véritable protestantisme, et tenté de faire prévaloir l’empire des formulaires sur l’empire de la conscience. L’autorité n’a point de champions plus résolus que les Stahl et les Hengstenberg. Les troubles de 1848 et les écarts de l’extrême gauche hégélienne ont, en Prusse comme ailleurs, compromis la science et la liberté, et fait les affaires de tous les partisans d’un absolutisme quelconque. Aussi les organes de cette école se sont-ils élevés contre la présence à Berlin des états-généraux de l’Alliance évangélique. Il semblait qu’une bande de libres penseurs français, ayant pour chefs MM. Grandpierre et Merle d’Aubigné, allait pénétrer dans le sanctuaire. En vain les membres anglais et écossais de l’alliance arrivaient-ils protégés par de nouvelles adhésions qui avaient longtemps manqué à leur entreprise, car de grands personnages connus par leur sollicitude pour les intérêts religieux de l’humanité, tels que le comte de Shaftesbury, avaient enfin publiquement donné des témoignages de sympathie aux travaux de la société, et l’archevêque de Cantorbéry, d’accord avec l’évêque de Londres et onze autres prélats, avait approuvé les sentimens et les pensées au nom desquels le comité de l’alliance, dans une sorte de manifeste, convoquait à Berlin les chrétiens évangéliques de tous les pays. La Gazette ecclésiastique de Prusse n’en lançait pas moins les foudres de l’ultra-luthéranisme. Heureusement le roi, qui s’était toujours piqué d’être réellement le chef de l’église et le défenseur de l’orthodoxie, a étendu sa protection sur une société recommandée par son prédicateur ordinaire, le docteur Krummacher, et par les successeurs de Neander. Il a voulu assister lui-même avec la reine à quelques-unes de ses séances, et il a invité ses députations de toute nationalité à une collation dans le nouveau palais de Potsdam. Cette royale bienveillance n’est pas une partie de l’héritage que le prince-régent ait répudiée : il en a renouvelé officiellement l’expression dans un récent document adressé à ses ministres. Décidément les champions de l’autorité ont l’autorité contre eux. L’Alliance évangélique met avec raison beaucoup de prix à sa campagne de Berlin. Il va sans dire que ses conférences, qui Avaient attiré, dit-on, dans cette ville douze ou quinze cents personnes,