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ces avertissemens, obscurs comme les oracles des songes, par lesquels elle ne manque jamais de nous inviter à la sagesse et à la réflexion. Le repentir lui est inconnu, aussi bien que le désillusionnement, signe d’une âme vraiment forte et loyale. « Aucun objet, dit-il noblement, ne m’a menti. Chacun d’eux a été à l’épreuve tel qu’il m’avait promis d’être. Tous, même les plus chétifs, m’ont tenu ce qu’ils m’avaient annoncé. Ceux qui m’ont blessé m’avaient averti d’avance. Les fleurs, les parfums, le printemps, la jeunesse, la vie heureuse dans le pays natal, les biens désirés et obtenus, s’étaient-ils engagés à être éternels ? » S’il n’a pas de reproches à faire à la nature, qui tient toujours ce qu’elle promet, qui n’a jamais déshérité entièrement même les plus coupables et les plus misérables de ses enfans, peut-être a-t-il gardé quelque ressentiment envers le monde, qui nous promet plus qu’il ne donne, et qui n’a pas l’impartiale équité de la nature. Écoutons. « Le monde m’a-t-il tendu une embûche ? Non. Cent fois il m’avait averti de ce qu’il est, et je l’avais compris. Quelle plainte puis-je élever contre lui ? Aucune. Il en a été de même des hommes. Aucune amitié ne m’a manqué de celles sur lesquelles je comptais véritablement, et la mauvaise fortune m’en a donné auxquelles je ne devais point m’attendre. Personne ne m’a trompé, personne ne m’a livré. J’ai trouvé à l’occasion les hommes aussi constans à eux-mêmes que les choses. Tous portent l’enseigne qui les fait reconnaître. Il n’y a de pièges que parce qu’on veut résolument être trompé. » Quelle naïveté virile et quelle mâle candeur dans ces lignes aussi vraies et plus vraies encore qu’éloquentes ! Le monde en effet n’est réellement une duperie que pour les sots, et, si l’on y regardait bien, on verrait que les hommes sont toujours trompés, non dans leurs attentes vertueuses, mais dans leurs espérances vicieuses. Quand ils s’indignent d’avoir été dupes, il faudrait s’informer avec soin de ce que leur promettait le charlatan, et il y a fort à parier que le leurre était l’assouvissement de quelque grossière convoitise ou de quelque équivoque désir. Fausses amitiés, sympathies vénales, amour égoïste, tout cela est incapable de tromper une âme candide, parce qu’elle ne désire rien de ce que pourrait lui offrir le commerce du mensonge et de la corruption. Restent les déceptions morales ; mais celles-là n’existent non plus que pour les esprits faibles qui ont eu le malheur d’associer irrévocablement le triomphe d’une idée avec le triomphe d’un homme, et qui ne peuvent plus retrouver la vérité, lorsqu’elle ne se présente pas à eux sous la forme d’un symbole ou d’une institution. Ceux qui n’ont pas besoin qu’on leur répète sans cesse, comme Moïse à ses Hébreux : « Que ceci soit comme un signe dans votre main et comme un monument devant vos yeux, »