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riche galion allant chaque année des Philippines au Mexique, s’emparaient des trois ou quatre millions de piastres qu’il portait, et revenaient en Europe pour voir leur chef enrichi récompensé par le titre de lord, comme Anson, ou de chevalier, comme Drake. Ces expéditions conduisaient de temps à autre les navires anglais sur les côtés de Californie, et il est assez remarquable que la plus ancienne d’entre elles, celle de Drake, y ait dès 1579 signalé une grande abondance de gisemens aurifères, situés presqu’à fleur du sol. Ces relations n’étaient du reste qu’un pur sujet de curiosité ; la Grande-Bretagne ne songeait guère alors qu’un jour viendrait où ses enfans occuperaient ce continent d’une mer à l’autre, tandis qu’au contraire l’Espagne était fondée à prendre pour devise ce vers orgueilleux, qu’on lit encore aujourd’hui, non sans quelque étonnement, sur la porte de l’arsenal de Cadix :

Tu regere imperium fluctus, Hispane, memento.

Le Nouveau-Monde était sien, et ce fut du Mexique que partirent les premiers colons de l’Eldorado du XIXe siècle. Ces conquérans, ces descendons de Cortez et de Pizarre, étaient quelques pauvres moines qui, sans autre secours qu’une foi ardente, sans autres armes qu’une charité évangélique, réussirent à édifier et à faire prospérer pendant près d’un siècle et demi une œuvre admirable et trop peu connue, celle des missions de Californie.

La colonisation espagnole au Nouveau-Monde a été jugée sévèrement, et non sans raison, car c’est à elle que les possesseurs actuels du sol sont en droit de faire remonter leurs déplorables traditions administratives ; mais, pour être juste, il faut en même temps reconnaître qu’à ce fâcheux état de choses il y eut deux exceptions remarquables, fruits de la bienfaisante influence d’un catholicisme pratique et rationnel. La première doit une célébrité méritée au génie de l’illustre écrivain qui s’est chargé de populariser l’œuvre des jésuites du Paraguay ; la seconde, moins connue, n’a pourtant pas été moins concluante, et le souvenir n’en est pas éteint chez les rares Indiens qui habitent encore autour des missions ruinées de la Californie. On a beaucoup disserté sur le travail attrayant, dont le plus original de nos réformateurs contemporains voulait faire la base de sa société nouvelle ; longtemps avant Fourier, les apôtres franciscains de la Nouvelle-Californie avaient résolu le problème sans y chercher autre chose que la lettre et l’esprit du christianisme, et ils avaient atteint ce résultat dans des conditions qui en doublaient le mérite. Les Indiens auxquels ils s’adressaient étaient en effet, de tous ceux qui peuplaient les deux Amériques, les moins intelligens, les plus apathiques, et par-dessus tout les plus ennemis du travail. Voués à une existence errante et incertaine, à