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comparer ceux dont nous parlons ? Une seule ville au monde, Constantinople, bâtie en bois comme l’était alors San-Francisco, a eu le triste privilège de désastres aussi complets. En quelques heures, l’immense foyer s’étendit sur une surface de près de 300,000 mètres carrés, et gagna de tous côtés avec une furie que redoublait une véritable tempête de nord-ouest. En vain les pompes envoient leurs puissantes colonnes liquides sur la lisière de cette fournaise, pour la circonscrire s’il est possible : l’eau est vaporisée avant de retomber. Bientôt elle vient à manquer ; le feu gagne rapidement les quartiers bâtis sur pilotis ; l’intensité de l’incendie s’y accroît par le tirage qu’exerce le vide laissé sous chaque rue. Un seul espoir s’offre encore, sauver les centaines de navires qui couvrent la rade et l’immense valeur qu’ils représentent ; c’est vers ce but que tendent tous les efforts. Le vent porte ailleurs heureusement les milliers de débris incandescens que l’on voit tourbillonner dans l’air, mais les wharves pourraient servir de ponts aux flammes pour atteindre la cité flottante dont les hautes mâtures se profilent déjà avec une netteté significative ; de toutes parts retentissent les puissantes explosions qui doivent les isoler. Enfin le soleil se lève derrière l’épais rideau de fumée qui masque l’horizon, et vient éclairer d’un jour livide cette scène de désolation ; la tempête s’apaise, on peut mesurer l’étendue du désastre. À peine un tiers de la ville a-t-il été épargné, et dans la portion brûlée rien n’est sauvé, car le fléau s’est propagé avec une telle rapidité que, pour se soustraire à sa rage, les habitans ont dû tout abandonner derrière eux. Le seul dommage matériel pouvait être évalué à plus de 60 millions de francs ! Il eût fallu remonter aux grandes guerres de l’empire pour trouver dans la ruine de Moscou l’exemple d’une destruction aussi complète. L’ardente réverbération avait été aperçue jusqu’à Monterey, à quarante lieues de San-Francisco.

Ce n’était pourtant pas la dernière épreuve. Le troisième incendie avait éclaté le 14 juin 1850 : on redoutait également cet anniversaire ; mais un surcroît de précautions força les misérables qui tenaient ainsi toute une ville en suspens à retarder l’exécution de leurs criminels desseins jusqu’au 22 juin. C’était un dimanche, et les cloches annonçaient l’office divin, lorsque la population entendit ces sons mesurés se transformer en un tocsin d’alarme précipité. Nul doute cette fois que la catastrophe ne fût due à un incendiaire, car le feu s’était déclaré dans une maison où personne n’en avait allumé. Par une heureuse imprévoyance, les bandits qui s’acharnaient à leur œuvre de destruction n’avaient pas donné le temps de réparer encore les traces du feu précédent, et les pertes se bornèrent à une vingtaine de millions. Ce fut la dernière de ces