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épouvantables conflagrations. En somme, le pays avait vu, pendant les trois années qui venaient de s’écouler, près de 360 millions de valeurs dévorés par les flammes !

Ce qui frappe avant tout dans ces désastres coup sur coup répétés, c’est la merveilleuse énergie de l’Américain, c’est l’invincible persévérance avec laquelle il se redresse chaque fois sous l’étreinte qui veut l’accabler. Là où d’autres eussent, en accusant le sort, renoncé à gagner une partie si souvent perdue, lui ne doute pas un instant de ses forces, mais revient chaque fois plus résolument croiser la baïonnette avec la fortune, et n’attend même pas que les décombres fumans soient refroidis pour amener les matériaux de ses nouvelles constructions. Sous un rapport du reste, ces incendies profitaient à la ville, qui chaque fois se reconstruisait plus monumentale qu’auparavant, et surtout plus en mesure de résister au terrible fléau. Le prix excessif de la main-d’œuvre et des matières premières avait amené l’emploi exclusif du bois ; s’il était impossible que du jour au lendemain la masse des propriétaires pût y substituer la brique, au moins, à partir de ces rudes leçons, bon nombre des édifices qui s’élevèrent dans ces quartiers si souvent dévastés furent-ils véritablement à l’épreuve du feu. Ils ne sortaient plus de terre, il est vrai, avec la miraculeuse rapidité des premiers jours ; mais au lieu de tentes, de baraques, ou de frêles enceintes légèrement maçonnées, c’étaient des murs d’un mètre d’épaisseur sur une hauteur de 16 ou 18 mètres, solidement construits en briques, souvent même en granit, que les navires apportaient de Chine[1]. En un mot, on peut dire que si l’orgueilleuse capitale de la Californie a aussi promptement atteint un développement dont pourraient être fières bien des villes d’une importance séculaire, c’est à ses incendies qu’elle le doit en partie, et à l’indomptable volonté de ses habitans, non moins qu’aux circonstances exceptionnelles où elle s’est trouvée.

Ce n’était pourtant qu’avec lenteur, ou du moins avec une lenteur relative, que la ville se reconstruisait sur ces coûteuses proportions. Bien des quartiers pauvrement habités ou éloignés du centre restaient forcément en bois, et la mesure la plus pressante pour combattre l’ennemi commun était d’organiser un service d’incendie. Dès le lendemain du premier feu, plusieurs meetings furent convoqués à cet effet, et les dispositions prises avec une promptitude caractéristique. Il fallut demander aux états de l’est le matériel qui

  1. C’est là une preuve frappante de la cherté de la main-d’œuvre à cette époque à San-Francisco. La Californie fournit aussi un très beau granit, mais il eût été impossible alors de l’exploiter avec avantage, et le commerce maritime trouvait son bénéfice à en apporter de Chine. Il est inutile de dire qu’il n’en est plus de même aujourd’hui.