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la Californie a été le premier pays où la race anglo-saxonne se soit vue maîtresse des mines opulentes dont le Nouveau-Monde a si longtemps eu le monopole presque exclusif ; en admirant le parti qu’elle a su en tirer, on ne peut s’empêcher de penser à ce qui eût pu advenir de l’Amérique espagnole, restée pauvre au milieu de ses trésors, si les décrets de la Providence avaient voulu que ce continent devînt tout entier le patrimoine des hardis enfans de l’Angleterre. « Notre monde vient d’en trouver un autre, disait Montaigne, non moins grand, plein et membru que lui, toutefois si nouveau et si enfant qu’on lui apprend encore son a b c ; bien crains-je que nous aurons très fort hâté sa déclinaison et sa ruine par notre contagion. » Si juste que fût la prévision de l’illustre sceptique, il se trompait sur la cause de cette ruine ; ce ne sont pas nos idées qui ont amené la décadence du Nouveau-Monde, mais l’indolence, la cupidité et l’oubli de ce qui fait la véritable richesse des nations. Je laisse de côté tous les anciens chefs d’accusation, tous les griefs des siècles passés, pour ne citer qu’un exemple contemporain. Il y a vingt-cinq ans qu’à l’autre extrémité de l’Amérique, sur la côte du Chili, c’est-à-dire dans la plus sage et la plus prospère des républiques néo-espagnoles, furent découvertes les inépuisables mines de Copiapo. C’est d’elles que nous vient chaque année une notable partie de l’argent qui nous sert ; mais cette splendide exploitation, dont en Europe nous connaissons à peine le nom, n’a rien produit pour le pays qui lui a donné naissance. Supprimez-la, il ne restera rien. Enlevez au contraire à la Californie ses placers, il lui restera les villes qu’elle a créées, un commerce immense, une activité productive, gage du plus brillant avenir ; il lui restera surtout une population vaillante, infatigable dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, sachant utiliser l’or que la nature a semé sous ses pas, mais sachant aussi faire sortir de ce sol les fécondes richesses de l’agriculture et de l’industrie, plus précieuses et plus durables que l’or. C’est dans une semblable population que gît la force d’un pays ; la rapidité du développement matériel de San-Francisco en est une preuve, et c’est pourquoi nous avons insisté sur les conditions dans lesquelles il s’était opéré. D’autres preuves s’offriront, non moins concluantes, lorsque nous serons conduit par la suite de ces études à envisager les étranges mœurs de la société californienne.


E. DU HAILLY