Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/474

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tendu. Un matin, au point du jour, les bataillons les mieux disciplinés de Sindyah enveloppent son camp. Trop fier pour se livrer entre les mains de son frère, trop courageux pour se rendre sans combattre, le jeune Molhar-Rao opposa une résistance désespérée à l’ennemi. Ses troupes, au nombre de trois ou quatre mille hommes, se rangeaient en bataille, et ses frères naturels se préparaient à le seconder, quand il tomba frappé au front d’une balle qui l’étendit mort. Par suite de cette trahison, la petite armée de Molhar-Rao, dispersée en tous sens, disparut de la province ; les deux frères naturels de ce malheureux prince, Djeswant et Witto-Dji, se réfugièrent chez les râdjas voisins, et les états de Holkar, gouvernés par l’odieux Kasi-Rao, inepte, infirme et meurtrier de son frère, subirent la tutelle de Sindyah. Du même coup aussi se trouvait frappée au cœur la ligue imaginée par Nana-Farnéwiz pour contre-balancer l’autorité croissante de Dowlat-Rao.

Ce dernier cependant n’avait pas encore choisi pour son premier ministre Soukaram-Ghatgay, qui ne consentit à lui accorder sa fille en mariage qu’en échange de cette position. Ils semblaient hésiter l’un et l’autre à tenir leurs engagemens, bien qu’ils fussent également impatiens, celui-ci d’occuper le premier rang près de Sindyah, celui-là d’épouser une jeune fille dont on vantait la beauté. Au lieu de s’en prendre à eux-mêmes des lenteurs apportées à l’exécution de leurs promesses respectives, ils accusèrent Nana-Farnéwiz de traverser leurs desseins par des conseils intéressés. Le peshwa Badji-Rao n’eut pas de peine à les fortifier dans cette pensée, et la chute de Nana-Farnéwiz fut résolue. Il était difficile d’attirer dans un piège ce brahmane cauteleux et prudent qui se défiait de tout le monde. Pour le mieux tromper, Dowlat-Sindyah alla le voir avec les dehors de la plus franche politesse. Nana-Farnéwiz fut plus épouvanté que flatté de cette démarche, et une inquiétude sérieuse s’empara de lui quand il se vit mis en demeure de rendre au jeune prince la visite qu’il en avait reçue. Le chancelier ne brillait point par la bravoure ; de plus, il approchait de la soixantaine, et sa longue expérience lui avait appris à redouter jusqu’aux prévenances de ceux qui pouvaient avoir intérêt à le perdre. En se rendant chez Dowlat, il se fit suivie d’une escorte considérable à petite distance ; ses partisans les plus notables faisaient cortège autour de lui. Cependant, arrivé à la porte du camp de Sindyah, Nana-Farnéwiz s’arrêta, en proie à de tristes pressentimens ; le vieux renard hésitait à pénétrer dans l’antre du jeune lion. Dowlat-Rao, devinant sa pensée, envoya vers lui un Napolitain qui commandait huit bataillons de ses troupes régulières. Le Napolitain affirma par serment à Nana-Farnéwiz qu’il ne lui serait fait aucun mal, et celui-ci, complètement rassuré par la parole