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qu’il parut y prendre plaisir. Il y avait comme un fonds héréditaire de cruauté chez ce brahmane astucieux et vindicatif. Son père, l’ancien peshwa Raghounâth-Rao, accusé du meurtre de son neveu, avait vu se soulever contre lui la masse de la nation mahratte. Quant à Badji-Rao, il devait transmettre après lui ses instincts sanguinaires, en choisissant un jour pour son fils adoptif celui qui s’est rendu si tristement célèbre sous le nom de Nana-Sahib.

Lorsqu’il apprit les détails du supplice de son frère, Djeswant-Rao jura haine éternelle au peshwa. Sortant aussitôt de la solitude où il vivait depuis quelques mois au milieu des Bheels, race sauvage et méprisée, il se dirigea vers Dharampour, ville située sur la rive nord de la Nerboudda, et qui faisait partie du territoire de la vieille famille des Pouars. À peine y était-il arrivé que le râdja l’invita à se rendre dans la ville de Dhar, sa capitale ; il eut même la courtoisie d’envoyer au prince fugitif un palanquin et des vêtemens pour lui et pour ses compagnons. C’était la première marque de sympathie que Djeswant recevait d’un personnage de distinction depuis ses malheurs. Le Bheel l’avait reçu avec la franchise d’un oullaw qui partage sa cabane avec le premier venu, sans s’informer de ce qu’il vaut ; le petit souverain de la famille des Pouars le traitait en prince. Djeswant-Rao reprit donc courage ; un certain nombre de ses adhérens vint le rejoindre, et quoiqu’il fût réduit à la plus extrême pauvreté, il regarda l’avenir avec confiance. Bientôt la fortune, qui commençait à lui sourire après tant de revers, lui offrit l’occasion de rendre un service éclatant au petit prince dont il recevait l’hospitalité.

Bien que le royaume de Dhar soumis aux Pouars ne formât qu’un état de troisième ordre, un ministre arrogant y donnait libre carrière à son ambition. Le souverain légitime Anand-Rao, âgé seulement de dix-sept ans, venait de recueillir l’héritage de ses pères. À peine avait-il fixé sa résidence dans la capitale, que le brahmane Rang-Rao-Ourekar, premier ministre, essaya de disputer le pouvoir au jeune prince, qu’il espérait tenir en tutelle comme les peshwas avaient fait des souverains mahrattes. À la tête d’un fort parti de Patans et de Pindarries, — compagnies franches qui se louaient à qui les voulait payer, — le brahmane ministre menaçait la ville de Dhar. Anand-Rao s’avança bravement à sa rencontre, mais il fut repoussé avec perte. Au moment où il se retirait battu et découragé, Djeswant-Rao-Holkar courut à sa rencontre : « Tenez bon, lui dit-il, la journée n’est pas perdue, je me charge de vous donner la victoire. » Aussitôt il envoya l’ordre aux rebelles de s’éloigner et de laisser en paix le souverain de Dhar, qui comptait parmi les partisans de la famille Holkar. Les Pindarries hésitaient à obéir ; ils