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la nuit, et finissaient au plus tard à deux heures. Quand Éléonora parut à la cour, beaucoup de personnes la voyaient pour la première fois. Aussi tous les regards se portèrent-ils sur elle lorsque le foi la choisit pour la première valse : elle portait une simple robe de crêpe blanc, et sur son beau front une légère couronne d’épines-vinettes.

Le vieux baron de ***, qui connaissait toutes les généalogies de l’Allemagne, voulut bien me donner, le soir même, de longs détails sur la maison de Haltingen, avec laquelle je n’avais pas encore de relations. Cette famille ne brillait ni par la richesse, ni par une grande position. Le baron de Haltingen descendait, il est vrai, d’un compagnon de Hermann, qui avait contribué par sa bravoure à la défaite des légions de Varus : il faisait donc remonter sa noblesse jusqu’à la glorieuse journée de Teutobourg ; mais if est si commun en Allemagne de trouver des gentilshommes dont l’arbre généalogique a pris racine à côté de l’arche de Noé, que les prétentions du baron, prétentions que l’opulence ne relevait pas de son prestige, n’eussent assurément intéressé que ses vassaux. Cette famille de Haltingen avait un avantage beaucoup moins contestable que tous les parchemins du monde ; elle était naturellement aristocratique. Aristote parle d’hommes qui naissent rois ; on peut dire, sans crainte d’être démenti, qu’il en existe qui naissent gentilshommes, c’est-à-dire dont la personne, l’attitude, les idées, le caractère, sont essentiellement distingués. Dans les pays latins ou dans les pays helléniques, ce caractère, qui ne prend point sa source en une convention sociale, se rencontre au sein des plus modestes conditions. Il n’en est point de même chez les Allemands. La puissante racé germanique qui a hérité du génie philosophique et poétique des anciens Hellènes, n’a pas, comme eux, l’instinct inné de la grâce. Un paysan roumain, un montagnard de l’Arcadie, un laboureur de la campagne de Rome, rappellent souvent mieux à l’esprit cet idéal de l’homme illustré par l’art grec qu’un prince bavarois ou un baron saxon. Ce n’est pas seulement dans les derniers rangs de la société que se retrouvent la lourdeur et la gaucherie ; là même où l’éducation et les privilèges sociaux n’ont rien épargné pour constituer le véritable type aristocratique, on est surpris de ne trouver qu’un air vulgaire et une tournure d’esprit très peu chevaleresque.

Un pareil reproche ne pouvait être adressé aux Haltingen. Tout était naturel dans leurs mouvemens et dans leurs paroles ; ils n’avaient besoin de faire aucun effort pour s’élever au-dessus de la foule. Le sentiment de leur supériorité leur donnait la même aisance dans un palais que dans une chaumière. Partout ils devenaient populaires, parce qu’ils étaient bons avec le peuple et indépendans avec les princes. Le baron de Haltingen était né pour être un pair