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occupation de jour en jour plus absorbante et plus impatiente ; il était visible que le régime libéral et national, soutenu par le roi Victor-Emmanuel et par M. de Cavour, allait être soumis à une crise, et qu’il fallait que cette politique fît un pas en avant, si l’on ne voulait point abandonner la direction du mouvement italien aux révolutionnaires ; il était visible enfin que l’intimité du Piémont avec le gouvernement français allait croissant dans la même mesure où se refroidissaient les relations de la France avec l’Autriche, et que le roi de Sardaigne et son hardi ministre se sentaient moralement soutenus dans leurs espérances et dans leurs efforts par cette sympathie puissante. Voilà, nous le répétons, ce que pouvaient observer depuis plusieurs mois ceux qui sont au courant des affaires d’Italie. Malheureusement le nombre en France n’en est pas grand. L’opinion chez nous n’a pas pris garde à ce travail politique et au mouvement piémontais. Quelques journaux avaient bien, dès le mois de novembre, signalé l’attitude belliqueuse du Piémont, et l’avaient encouragée par de violentes déclamations contre la domination autrichienne en Lombardie. Le public français s’émut à peine de ces manifestations, qui lui paraissaient inopportunes, et où il ne voyait même que des excitations coupables, car elles pouvaient égarer les Italiens dans de funestes aventures. Le Moniteur parut confirmer ce sentiment au commencement du mois de décembre par le blâme dont il frappa les polémiques dirigées contre l’Autriche. Que s’est-il passé entre le jour où l’organe officiel du gouvernement crut devoir raffermir la sécurité de l’opinion et le 1er janvier de cette année ? L’avenir sans doute nous l’apprendra ; mais depuis le 1er janvier les incidens antérieurs ont pris une signification soudaine, sur laquelle il n’est plus possible de se méprendre, et que des faits nouveaux sont venus éclairer plus fortement encore. Le 1er janvier nous a en effet révélé officiellement l’état fâcheux de nos relations avec l’Autriche, en même temps que nous apprenions l’exaltation de Turin et la fermentation de la Lombardie. Le discours du roi de Piémont à l’ouverture des chambres sardes nous déclare que l’année 1859 ne se lève pas dans un horizon pleinement serein, que le Piémont marchera résolument au-devant des éventualités de l’avenir, qu’il est grand par les sympathies qu’il inspire, que sa condition n’est pas exempte de périls, car, tout en respectant les traités, il n’est pas insensible au cri de douleur qui s’élève vers lui de tant de parties de l’Italie. Enfin, presque au même moment, ces sympathies qui grandissent le Piémont et la solidarité qui semble, devoir unir notre politique à la politique piémontaise sont expliquées et annoncées par le mariage du prince Napoléon-Jérôme avec la fille du roi Victor-Emmanuel, la jeune princesse Clotilde. Il ne peut donc plus y avoir aujourd’hui d’incertitude sur ce point : la question italienne, comme on l’entend à Turin, est posée en Europe avec le concours probable du gouvernement de la France, et jusqu’à ce qu’elle reçoive une solution, elle sera la préoccupation et l’occupation dominante de la politique générale de l’Europe.

Mais qu’est-ce que cette question italienne, désormais ouverte ? Qu’est-elle au point de vue purement italien, et par quelles affinités est-elle devenue ou peut-elle devenir une question française ?

La question italienne, même pour les Italiens, est une expression vague