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triche dans le nord de la Lombardie ; sans doute aussi cette politique compromettrait par son triomphe les intérêts de la domination autrichienne en Lombardie, en rendant plus insupportable aux Lombards leur soumission à une souveraineté étrangère par le spectacle et le contraste de l’émancipation de leurs compatriotes. Le succès de cette politique n’en serait pas moins légitime ; tant pis pour l’Autriche, si elle ne peut acheter le maintien de la domination anormale qu’elle exerce sur l’Italie qu’au prix des plus graves inconvéniens. Qu’aurait-elle à gagner si par sa faute la question italienne était enserrée dans ce dilemme : pas de sécurité pour l’établissement autrichien en Lombardie sans l’asservissement de l’Italie tout entière, pas d’indépendance pour l’Italie sans l’expulsion totale des Autrichiens de la Lombardie ? Le respect des traités serait impuissant à faire accepter par la conscience de l’Europe libérale celle de ces conclusions qui sacrifierait la vie d’un peuple aux parchemins féodaux d’une monarchie étrangère.

Nous avons laissé exprimer par les documens mêmes de la diplomatie piémontaise la question italienne telle qu’on la comprend à Turin. Il est aisé de voir comment cette question a pu ou peut devenir une question française. Certes il est naturel que la France aime mieux un Piémont indépendant qu’un Piémont autrichien. Une ceinture de petits états est, croyons-nous, préférable pour nous à des frontières reculées qui nous mettraient en contact direct avec de grandes puissances, mais c’est à la condition que ces états seront libres, et ne pourront jamais devenir contre nous l’avant-garde d’ennemis puissans. La sécurité et la liberté d’action du Piémont sont donc au plus haut degré un intérêt français. Il faut avoir la franchise de reconnaître que nous sommes également intéressés à la bonne administration des états italiens, et que nous avons reçu de terribles éclaboussures de ce volcan révolutionnaire qu’entretient le système de compression qui a trop longtemps pesé sur l’Italie. Enfin l’occupation prolongée de Rome par nos troupes nous place dans une position fausse, qui n’est pas tenable. Quel rôle cette occupation nous fait-elle jouer devant l’Italie et devant le monde ? De deux choses l’une : ou nous sommes des conseillers impuissans du pape, si nous lui demandons des réformes qui permettent à ses sujets de vivre en paix avec lui ; ou, si nous nous taisons, nous sommes les fauteurs silencieux d’un mauvais gouvernement, et nous avons l’air d’être les seconds de l’Autriche dans ce système de compression dont l’Italie s’irrite. L’alternative finirait par devenir ridicule ou odieuse. Nous ne serions donc point étonnés, pour notre compte, si la France reprenait à son tour la question italienne, posée dès 1856 par le Piémont.

Mais nos explications ne sauraient aller au-delà. Cette question italienne sera-t-elle résolue pacifiquement ? Peut-elle et doit-elle même, comme le demandent quelques esprits impatiens, être tranchée par la guerre ? Quant à nous, dans l’intérêt de la France et de l’Italie, nous faisons des vœux ardens pour que le problème de l’avenir de l’Italie ait une solution pacifique. Il nous semble que les patriotes éclairés de l’Italie doivent s’associer les premiers à ces vœux. Les intérêts italiens ne seraient-ils point exposés à disparaître bientôt dans un conflit armé entre la France et l’Autriche, pour faire place à d’autres questions, plus vastes encore et plus formidables ? Le régime sous lequel gémit l’Italie n’est-il pas un legs de la