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qui souvent n’est pas plus raisonnable que l’enthousiasme de la jeunesse.

Éléonora ne tarda pas à être soumise à une épreuve qui devait exercer une influence décisive sur ses idées et sur son avenir. Un mois environ après sa présentation à la cour arrivait à Dresde le prince Adalbert de ***, Ce jeune homme était héritier présomptif de la principauté de ***, et allié à la famille royale de Saxe. Élevé par un père égoïste et impérieux, Adalbert était timide et taciturne. Le roi Frédéric-Auguste, qui, malgré sa taille épaisse, aimait passionnément la danse et se mêlait volontiers à nos conversations de jeunes filles, nous disait le plus grand bien de son jeune parent : il avait, selon lui, un excellent cœur, une nature sympathique, un esprit cultivé, et il devait certainement, quand il serait prince régnant, faire renaître dans ses états les beaux jours où Charles-Auguste, l’ami de Schiller et de Goethe, faisait de Weimar l’Athènes de l’Allemagne. Un tel éloge devait attirer tous les regards sur Adalbert. D’ailleurs, en Allemagne, quand un jeune homme occupe une haute position sociale, il n’est pas nécessaire qu’il possède une vaste intelligence et un grand cœur pour s’emparer de l’imagination des jeunes filles. Sur les bords de l’Elbe et de la Sprée, l’amour n’est pas aveugle comme il l’était aux rives du Céphise et de l’Eurotas ; il ôte son bandeau pour feuilleter les généalogistes, et se sert de son flambeau pour déchiffrer, dans les vieilles tourelles féodales, les parchemins poudreux. Une Allemande n’a jamais l’étourderie gauloise, ni la pétulance latine. Aussi, dans ses rêves les plus platoniques et les plus métaphysiques, voit-elle briller toujours au premier plan les verts gazons et les rians bosquets d’un manoir seigneurial. L’idéalisme allemand n’est pas aussi naïf qu’on se le figure généralement, et tel peuple que les Germains accusent de matérialisme, — la nation française par exemple, — est au fond bien plus idéaliste que les Prussiens et les Saxons. Éléonora était une exception parmi les jeunes Allemandes qui figuraient à la cour de Saxe. Dans toutes les races, les natures d’élite parviennent à se soustraire à cette loi mystérieuse que je nommerais volontiers, en me servant d’un mot biblique, « la chair et le sang. » Les organisations qui échappent à ces influences sont prédestinées à la souffrance, et tel devait être le sort d’Éléonora.

Si le prince Adalbert n’avait eu pour lui que les avantages de son rang, il est presque certain que Mlle de Haltingen lui eût accordé peu d’attention ; mais Adalbert avait, pour une nature à la fois tendre et hautaine comme celle d’Éléonora, un attrait tout particulier. Sa timidité mélancolique, dont on connaissait les causes, le rendait intéressant ; son silence rêveur était attribué, non à la