Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/515

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’auteur des Faux Bonshommes et de Cendrillon, et le principal représentant de cet esprit nouveau qui affirme être avec nos besoins et nos habitudes dans un rapport plus direct et plus vrai que les productions romantiques ? M. Barrière possède d’incontestables dispositions dramatiques ; il sait présenter un fragment de scène, enlever un morceau de dialogue : il n’est pas encore parvenu à composer un ensemble véritable. Sans parler de nombreuses productions que réclame l’industrie théâtrale et non l’art dramatique, il a essayé, depuis le succès qui accueillit la trop fameuse pièce des Filles de Marbre, d’entrer dans une voie particulière d’observation comique. Un travail rapide, soulagé encore par une constante collaboration, surtout une absence non moins constante d’action dans le drame, ne l’ont conduit qu’à exposer, sous prétexte de caractères et de types, des caricatures amusantes à première vue, mais dont la contemplation engendre une prompte fatigue, le tout saupoudré de saillies d’un goût douteux, échos trop fidèles des bons mots et des facéties qui alimentent journellement les conversations d’un peuple qui se dit, je ne sais trop pourquoi, le plus spirituel du globe. Toutes réserves faites d’ailleurs pour le style, M. Barrière n’a pas encore écrit de pièce véritablement composée. Cependant, malgré toutes ces imperfections, on pouvait attendre de son talent d’abord une scène, puis un acte, et puis, dans une limite de temps qu’on n’osait trop fixer, une pièce tout entière. La scène est venue, puis l’acte ; maintenant à quand la pièce ?

Il faut être juste : il y a mieux qu’un acte dans Cendrillon, il y a aussi un véritable caractère, et, chose curieuse, ce caractère, ce n’est pas ce que l’on attendait, ce n’est pas l’idéal enfin trouvé des caricatures que nous connaissions : c’est l’analyse délicate d’un cœur sensible et défiant, analyse qui appartenait au roman, dont la forme dans la comédie de M. Barrière n’est pas irréprochable, mais dont l’expression est poursuivie avec précision et logique. M. Barrière a su éviter un écueil contre lequel l’ont probablement porté d’abord la nature de son esprit et cet amour du contraste qu’on a la faiblesse de prendre pour du comique. N’y avait-il pas là en effet une de ces antithèses toutes trouvées, une antithèse même qui remonte par-delà le déluge, puisque le vertueux Abel et le méchant Caïn nous en offrent un si lamentable exemple ? Nous en avons été quittes pour la peur. Marie de Fontenay, la Cendrillon de M. Barrière, ne peut se plaindre d’aucun mauvais traitement, d’aucune injustice matérielle. Blanche, l’enfant gâtée, l’aime comme une bonne sœur. Sa mère ne lui refuse pas ses caresses ; mais comme Marie est timide et repliée sur elle-même, comme Blanche est plus vive et plus expansive, les caresses de Mme de Fontenay ont rencontré celle-ci plus souvent que celle-là, et peu à peu l’habitude en est venue, de sorte que, grâce peut-être aux hésitations de Marie, une certaine préférence est aujourd’hui sensible : l’habitude n’est-elle pas tout pour le cœur ? Certes ce sont des riens, ce sont des nuances, mais précisément c’est aux nuances que se prennent les véritables caractères, et c’est là qu’il faut les saisir. Si Moe de Fontenay calculait ses préférences, peut-être Marie souffrirait-elle moins, car la jalousie qu’elle éprouve pourrait se soulager dans un sentiment d’animosité ; mais la mère n’a pas conscience de ces involontaires blessures, qui causent par cela même dans le cœur de sa fille aînée de plus grands ravages : loi physiologique à laquelle