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obéit la marche du drame. Marie n’a donc pas entièrement raison ; elle est aigrie, elle est réellement malade, et c’est là encore une juste observation de ce caractère. Je ne dirai rien de l’action et de la fable, qui offrent les défauts habituels à l’auteur. Ici comme ailleurs, il procède dans ses trois premiers actes, par épisodes isolés, par scènes prétendues caractéristiques, qui servent bien, à l’action, mais que M. Barrière n’a pas su rendre indispensables, car elles pourraient être retranchées et remplacées par d’autres : le choix d’une robe, un bouquet dédaigné, un danger couru dans une promenade à cheval, toutes choses où se montrent les préférences de Mme de Fontenay, le plus souvent trop accusées ; toutes choses qui seraient véritablement significatives et intéressantes, si elles étaient les fils nécessaires de la trame qui se dénouera au dernier acte. C’est la vie ! nous dira-t-on, c’est la réalité ! Soit, mais ce n’est pas la vérité, ce n’est pas l’harmonie, ce n’est pas l’art. Ce sont les élémens d’une œuvre, mais ce n’est pas l’œuvre, et le public n’est pas tenu de la composer avec les élémens qu’on lui présente. On dit que chez M. Barrière cette manière est un parti-pris : nous ne saurions l’accepter en aucune façon ; nous ne saurions admettre davantage que M. Barrière invente, car si nous accordons que les élémens d’une œuvre doivent être puisés dans la réalité, inventer, ce n’est plus alors que composer, et dans ces trois premiers actes il n’y a pas trace de composition. En outre, de ces scènes et de ces épisodes M. Barrière tire tout ce qu’il peut ; il les épuise, et il finit par en dénaturer le sens, grâce à l’espèce de distillation à laquelle il les soumet : ainsi traitée, la réalité même se volatilise et devient je ne sais quelle matière fluide, mille fois moins dense que le marivaudage, et incapable d’agir sur notre esprit, à plus forte raison d’y laisser une empreinte.

Quant au cinquième acte, il est bien conduit, et l’auteur s’y élève à des effets vraiment dramatiques. On aimerait à l’accepter comme le symptôme d’une transformation dans la manière de l’écrivain. Cette tentative, justifiée par le succès, doit dès aujourd’hui éclairer M. Barrière, non-seulement sur les procédés véritables d’un art qu’il est si facile de travestir en métier, mais encore sur les bases plus solides qui doivent porter les combinaisons artificielles de la scène. Ce cinquième acte, que ne coupe aucun épisode inutile, que n’égaie aucune marionnette, que ne hérisse aucune facétie, qui pour tout dire arrive correctement à l’unité, lui prouvera, nous l’espérons, que l’action dramatique repose sur le développement progressif des sentimens, l’opposition raisonnée des caractères et la nécessité démontrée des péripéties : trois élémens que réunit l’idée générale de composition.

En résumé, si la vérité dramatique n’est ni dans le système de M. Bouilhet, ni dans celui de M. Barrière, elle n’est pas davantage dans le juste milieu ou dans une impossible conciliation. C’est qu’à ces deux systèmes manque également l’indispensable élément de la composition : l’un croit y suppléer par la forme, l’autre s’imagine la trouver dans un ensemble d’épisodes dépourvus de tout lien. La comédie ne cherche ici, comme le drame, qu’à étonner l’esprit ; comme le drame, elle ne peut rencontrer dans cette voie que des succès éphémères. La vraie comédie au contraire ne vise nullement à étonner, elle n’a d’autre but que de justifier ce qu’elle expose, et comme les sujets qu’elle choisit ne doivent point sortir de l’évolution, commune, elle