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être demandés à l’intervention des classes les plus riches et les plus éclairées. Tout ce que le peuple pouvait faire avec ses bras pour la mise en valeur du sol, il l’a fait ; il n’y a désormais que la science et le capital qui puissent faire davantage. Cette pensée, qui avait inspiré la création de l’Institut national agronomique de Versailles, est aussi celle de l’Institut normal agricole, établissement spontané que le zèle de quelques hommes de bien a fondé à Beauvais, et en particulier de son principal professeur, M. Louis Gossin. Poussé par une vocation généreuse, M. Gossin ne s’est pas contenté de consacrer sa vie à l’enseignement de l’agriculture, il a voulu encore initier les hommes du monde, les femmes, les artistes, à tous les secrets de son étude favorite, et leur communiquer, s’il est possible, la passion qu’elle lui inspire. Aussi le volume qu’il a consacré à un sujet si humble en apparence est-il imprimé avec luxe et orné de nombreuses planches, pour la plupart dessinées par Mlle Rosa Bonheur, cette habile interprète de la nature champêtre. L’ouvrage sur l’agriculture française se recommande encore par un style élégant, une bonne distribution des matières, et un art remarquable à mêler la science et la pratique, alliance aussi heureuse que rare, qui contient tout le problème de l’avenir. Une carte agricole de la France complète ce remarquable ensemble. Dieu veuille qu’il aille à son adresse, et que, feuilleté par des mains aristocratiques, il fasse comprendre et aimer l’agriculture par ceux dont elle attend son sort ! Il y a là plus qu’une question agricole, il y a la plus grande question sociale et politique de notre temps, et plus il importe que les classes éclairées cherchent désormais dans la vie rurale l’indépendance et la dignité, plus il est utile de les prémunir contre l’ignorance qui amène les mécomptes et provoque les réactions.

Autant la publication de M. Gossin est brillante, autant celle de M. Victor Borie est modeste. L’auteur se qualifie lui-même en commençant de rouage microscopique ; il déclare tout franchement qu’il est un agriculteur de cabinet, et ne se montre pas le moins du monde embarrassé de cette redoutable épithète. Homme de cabinet, dit-il avec raison, ne veut pas dire homme inutile. Ses causeries sur l’agriculture répondent à leur titre, ce sont bien des causeries du coin du feu. Outre la forme, qui est vive et facile, ces mélanges sans prétention ont un mérite spécial, et indiquent une tendance marquée à envisager les questions agricoles au point de vue économique. Jusqu’ici nos agronomes avaient eu une véritable horreur pour l’économie politique ; M. Victor Borie est de ceux qui travaillent à les ramener. C’est une bonne pensée : le jour où le public agricole, le plus nombreux de tous, aura des idées justes en ces matières, bien des chimères qui nuisent au développement de la richesse nationale s’évanouiront. M. Borie ne s’est enrôlé jusqu’ici que parmi les troupes légères de la petite armée économique, mais c’est un tirailleur alerte et agile, et on sent que quand il le voudra, il pourra prendre une bonne place dans le corps d’armée. Il a le trait piquant, mais l’esprit est sérieux. Avant tout, ces livres sont des symptômes. Comme celui de M. Gossin, celui-ci est un bon symptôme, quoique d’un caractère tout différent.


LÉONCE DE LAVERGNE.

V. de Mars.