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respectaient pas davantage les émanations du bazar. Les envoyés des princes indigènes et les représentans des nations européennes étaient reçus sous un petit pavillon couvert d’un drap écarlate brodé de soie. Autour du prince, assis sur une espèce de fauteuil à dossier rehaussé de brocart d’or, se tenaient accroupis, quelquefois sur des tapis usés, souvent sur des housses de cheval, les ministres et les grands officiers. Un turban couleur de pourpre ceignait à ces momens solennels le front de Dowlat-Rao, dont le visage, d’un noir foncé, assez agréable, plutôt efféminé qu’imposant, trahissait l’humble origine. Il s’enveloppait d’une robe de soie jaune, jetait sur ses épaules un châle couleur lilas, et portait autour de son cou une telle profusion de colliers, qu’on l’avait surnommé Môti-Wala, l’homme aux perles. Ces riches joyaux, débris d’une haute fortune, ne masquaient qu’imparfaitement la misère réelle du mahârâdja, dont les dépenses excédèrent toujours les revenus. Sa détresse devint si grande, qu’en mainte occasion ses grands officiers, las de n’être point remboursés des sommes qu’ils dépensaient pour l’entretien des troupes, eurent recours contre lui à la vieille coutume du dharna. Le dharna, on le sait, est la muette et persévérante réclamation du créancier qui va s’asseoir, sans prendre aucune nourriture, devant la porte de son débiteur, et meurt de faim, s’il le faut, sous les yeux de celui-ci, qui reste chargé des malédictions de sa victime. Le mahârâdja finit par rire de cette menace, et des spéculateurs, qui faisaient le dharna pour le compte d’autrui moyen- nant de gros salaires, durent renoncer à ce métier pénible après un jeune prolongé[1]. C’était ainsi que Dowlat-Rao-Sindyah allait en guerre, traînant après lui une grande armée, et aussi beaucoup de misère.


II.

Dowlat-Rao-Sindyah campait avec son armée auprès de Rarham- pour, quand il apprit le traité conclu sans sa participation entre le peshwa Badji-Rao et le gouvernement anglais[2]. Il en ressentit un dépit d’autant plus vif, que dans toutes les transactions de quelque importance les souverains de la famille Sindyah avaient joué le premier rôle. Dès lors son parti fut pris de se liguer avec Raghou-Dji-Bhounslay, râdja de Nagpour, contre le peshwa et ses alliés les Anglais. Ceux-ci, de leur côté, se hâtèrent de remplir les promesses

  1. Voyez le Voyage chez les Mahrattes du colonel Tone et l’ouvrage de Th. Bauer Broughton sur les Mœurs, les Usages et les Coutumes des Mahrattes.
  2. Ce traité est connu sous le nom de traité de Bassein, du nom de la localité où il fut conclu.