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Holkar en fut réduit à accepter cette paix dont il avait si longtemps repoussé jusqu’à la pensée. Ce fut ainsi qu’il termina cette campagne extraordinaire, continuée avec des vicissitudes diverses, et aussi avec l’énergie la plus obstinée, depuis Pounah jusqu’aux environs de Lahore.

Il était dit toutefois que le chef de la famille Holkar resterait jusqu’à la fin un incorrigible pillard, le type achevé du Mahratte des premiers temps. Bien qu’il fût lié par les traités qu’il venait de signer, Djeswant-Rao, en revenant dans ses états, se donna une fois encore le plaisir de saccager les possessions des princes radjepoutes protégés par l’Angleterre. Après ce dernier exploit, il licencia ses cavaliers en leur disant d’aller chercher fortune ailleurs. Les soldats mécontens réclamèrent tumultueusement leur paye; s’étant mis bientôt en révolte ouverte, ils prononcèrent la déchéance de Djeswant-Rao, qu’ils appelaient injurieusement le fils d’une esclave[1]. Celui-ci distribua aux mutins une partie de l’argent enlevé aux Radjepoutes, et calma ainsi la sédition; mais cette appellation de fils d’une esclave l’avait blessé au cœur. Le légitime héritier des états de Holkar, c’était son neveu Koundie-Rao, celui-là même dont il s’était autrefois hautement et noblement déclaré le fidèle serviteur. Les cris des soldats révoltés avaient donné à ce nom depuis longtemps oublié une signification alarmante pour Djeswant-Rao. Le jeune Koundie-Rao, qui n’avait pu prendre aucune part à la sédition, — il n’avait que dix ans, — périt empoisonné quelques jours après. Ce crime était à peine commis qu’une troupe de Patans allait massacrer dans sa retraite Kasi-Rao, ce prince faible d’esprit et infirme de corps qui avait dû renoncer à gouverner les états de Holkar. Il ne restait plus de descendans légitimes de Touka-Dji; était-ce à tort que la voix publique accusait de ces deux meurtres le fils d’une esclave, Djeswant-Rao?

Il est vrai que depuis quelque temps cet infatigable soldat donnait des marques de folie. Exténué par ses longues campagnes, surexcité par les liqueurs fortes dont il usait avec excès, consumé à l’intérieur par les flammes des fourneaux devant lesquels il passait les jours et les nuits à fondre des canons, Djeswant-Rao perdait la mémoire; il tombait aussi dans des accès de frénésie. Ayant le sentiment de son mal, il cherchait à le combattre par un redoublement d’activité qui augmentait encore le feu de sa fièvre. Son palais devint le théâtre de scènes si terribles qu’on se persuada qu’il était possédé par un esprit malin. On finit par le reléguer

  1. On se rappelle que Djeswant, fils illégitime de Touka-Dji, était censé régent des états de Holkar au nom de son neveu Koundie-Rao.