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aux moyens de faire du mal aux Anglais, se consolait de son abaissement en assistant aux jeux des athlètes, en chassant le tigre avec le pompeux appareil d’un souverain asiatique, et aussi en lançant dans les airs des cerfs-volans qu’il faisait venir à grands frais de Dehli. Il y a presque toujours un côté puéril dans le caractère de ces râdjas indiens.

Pendant dix années, — de 1805 à 1815, — la paix fut maintenue; les Anglais aidaient le peshwa Badji-Rao à gouverner ses états, et celui-ci ne cessait d’adresser à toutes les cours de l’Inde de pressantes sollicitations : il ne désespérait pas d’intéresser à la cause des Mahrattes ceux-là mêmes qui avaient eu si longtemps à souffrir de leur agression. C’était assurément un étrange spectacle de voir les Anglais rétablir l’ordre dans les provinces du Dekkan, ramener sous l’autorité du peshwa les petits princes récalcitrans ou rebelles, en un mot éteindre partout les derniers restes de l’incendie allumé par la guerre civile dans le Maharachtra. Badji-Rao applaudissait hautement à ces mesures; il profitait des avantages d’une paix qu’il n’aurait jamais eu la force de faire régner dans ses états, et témoignait à ses puissans alliés une reconnaissance d’autant plus vive en apparence qu’elle était en partie plus sincère. Les districts s’affermaient au plus offrant; le peshwa enfouissait de grosses sommes dans ses coffres, et tandis que les populations pressurées par des fermiers-généraux murmuraient tout bas, à la cour on menait joyeuse vie. Les brahmanes qui entouraient le peshwa ne cherchaient point à se distinguer par l’austérité de leurs mœurs; d’ailleurs les honteux emblèmes qui épouvantent le regard du voyageur dans les carrefours de la sainte ville de Pounah prouvent assez que le paganisme indien est devenu le culte des sens. Bien qu’adonné aux plaisirs, le peshwa faisait des dons aux pagodes et répandait des libéralités parmi les desservans. Au fond de la conscience de ce brahmane, qui ressembla à Louis XI par plus d’un point, le remords élevait la voix de temps à autre. C’est à un de ces accès de repentir qu’est due la plantation des nombreux manguiers dont les belles allées se déploient avec une certaine symétrie aux alentours de Pounah[1].

En réalité, Badji-Rao poussait sourdement à l’insurrection Sindyah, Bhounslay et les Pindarries. Il voulait réunir les membres disjoints de la confédération mahratte et redonner la vie à ce corps mutilé. Par malheur, il avait alors, — depuis 1814, — pour ministre favori un homme habile, mais fourbe et pervers, du nom

  1. On sait que le brahmanisme considère comme des actes méritoires la plantation des arbres à fruit et aussi le creusement des pièces d’eau.