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lui fut concédé par la Sardaigne et par la France. Le traité de Paris du 20 novembre 1815 et celui de Turin du 16 mars 1816 stipulèrent les conditions de cet arrangement, qui dotait Genève d’une population catholique de seize mille âmes, formant environ les deux cinquièmes du nombre total de ses citoyens.

Au point de vue confessionnel, un pareil accroissement n’était pas sans danger pour la petite république, d’autant plus que le traité de Turin lui imposait l’obligation de maintenir et de protéger le culte catholique dans les communes cédées par le roi de Sardaigne, de n’y point permettre l’érection d’églises protestantes, sauf une dans la ville de Carouge, et d’y conserver relativement à la religion les lois et usages en vigueur au 29 mars 1815. Les avantages directs et prochains de la cession firent passer sur l’inconvénient de résultats éventuels dont il était d’ailleurs difficile de prévoir alors toute la portée. Les Genevois ne songèrent qu’au bonheur d’assurer leur indépendance en la plaçant sous la protection du drapeau fédéral, et se mirent aussitôt à l’œuvre pour organiser leur gouvernement. On ne pouvait rétablir l’ancienne constitution, qui rappelait de pénibles souvenirs et n’était plus en harmonie avec la situation nouvelle du pays. D’ailleurs les principaux chefs de la restauration genevoise appartenaient tous à l’opinion aristocratique. Ami Lullin, Joseph Des Arts et Charles Pictet de Rochemont, qui s’étaient mis à la tête de ce mouvement, durent avoir ainsi l’influence la plus grande sur l’œuvre législative. Le but de leurs efforts fut de faire prédominer le système représentatif, comme seul propre à concilier les prétentions rivales de l’aristocratie et de la démocratie, qui, dans le siècle précédent, avaient enfanté des troubles perpétuels pour aboutir aux déplorables excès de la période révolutionnaire.

La nouvelle constitution, empreinte d’une tendance bien prononcée à restreindre l’exercice de la souveraineté populaire dans les limites les plus étroites, offrait cependant, à certains égards, une organisation libérale susceptible de développemens ultérieurs. Elle posait en principe l’égalité complète de tous les citoyens devant la loi, la liberté de la presse, l’indépendance et la publicité des tribunaux, le vote des impôts et des lois par des députés directement élus et partiellement renouvelés chaque année, le droit accordé à ces députés d’exercer, sous forme de proposition, une sorte d’initiative, et de modifier les projets de loi, enfin la faculté d’introduire des changemens dans la constitution même. Il est vrai que le mérite de ces précieuses garanties se trouvait en partie annulé, pour le moment du moins, par les conditions du système électoral. Ici dominait l’esprit aristocratique, naturellement enclin à concentrer le pouvoir dans les mains du petit nombre. On avait eu recours aux expédiens du cens, de l’âge, et même de l’élection indirecte, pour