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importance à la direction des affaires publiques, le peuple prêtait l’oreille aux bruits du dehors. Il suivait avec un intérêt sympathique les mouvemens de la France et ceux de l’Italie. Bientôt la contagion le gagna. Quoiqu’il n’eût ni tyrannie à combattre, ni liberté à conquérir, d’ambitieux meneurs, comme il s’en trouve toujours dans des occasions pareilles, lui persuadèrent aisément qu’il devait se révolter pour l’honneur de ses traditions. Dans les temps passés en effet, lorsque la république de Genève renfermait des habitans, des domiciliés, des natifs et des citoyens ayant des droits différens, la sédition était en quelque sorte à l’ordre du jour. Dès qu’une mesure contrariait les désirs du souverain populaire, on prenait les armes, on se tirait des coups de fusil dans les rues : si le gouvernement avait le dessous, des concessions étaient accordées, quitte à les retirer plus tard; si ses partisans au contraire triomphaient, on exilait les principaux mutins, et tout rentrait dans le calme. Tels furent les souvenirs qu’après 1830 on évoqua complaisamment à Genève. Quant aux griefs, ils ne manquent jamais aux agitateurs. Par crainte du réveil démagogique, les auteurs de la constitution avaient incliné vers une espèce d’oligarchie difficile à maintenir; mais grâce au patriotisme éclairé de quelques hommes d’élite, les vices des institutions nouvelles disparaissaient l’un après l’autre, et la voie était ouverte à tous les progrès désirables. On était arrivé de cette manière aussi près que possible du suffrage universel, sans en avoir les inconvéniens, puisqu’il suffisait pour être électeur de payer un impôt facultatif de 3 francs 25 cent. Une si faible barrière ne pouvait empêcher que l’invasion du prolétariat sans exclure aucun électeur sérieux; cependant elle devint l’objet de plaintes vives et nombreuses. La prudence politique est en général peu comprise ou mal interprétée. Faute de pénétrer ses motifs, on l’accuse volontiers, soit de faiblesse, soit de trahison, et les Genevois, enclins par caractère à la méfiance, saisirent ce prétexte pour incriminer les vues de leur gouvernement. Ils prétendirent le rendre responsable des inégalités sociales et de tous les froissemens d’amour-propre qui en sont la suite. Suivant eux, l’aristocratie usurpait des privilèges intolérables en se consacrant au service du pays avec un désintéressement inaccessible aux classes moins favorisées de la fortune. Ils lui reprochaient à la fois ses mœurs simples, ses principes austères et ses richesses acquises par le travail et l’économie. Une opposition taquine se manifesta d’abord par des caricatures, par des satires mordantes, par des pamphlets propres à réveiller tous les mauvais instincts de la foule. Dans cette guerre dirigée contre les gens du haut, l’envie répandit son venin sur les actes même les plus indifférens. Une parole mal comprise, un salut oublié, la moindre appa-