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rence de supériorité hiérarchique, fournirent autant de griefs qu’on exploita pour persuader au peuple qu’il gémissait sous un joug humiliant. Les travers des habitudes sociales furent attribués au régime politique, et la constitution représentée comme un obstacle à l’esprit de concorde qui devait régner entre tous les citoyens.

Quand on en est là, ce n’est plus de simples réformes qu’il s’agit; un bouleversement général paraît seul pouvoir atteindre les abus vrais ou supposés qu’on veut détruire : je dis vrais ou supposés, parce qu’il y en avait des uns et des autres. Dans un pays où l’éducation publique met le développement intellectuel à la portée du pauvre comme du riche, les hautes classes ont tort de tenir trop à des distinctions fondées sur le hasard de la naissance ou sur le caprice de la fortune : il est évident que cette raideur est contraire à leur propre intérêt, puisqu’elles donnent ainsi prise aux accusations perfides et provoquent des haines implacables; mais on ne doit pas oublier non plus combien peu les relations sociales se prêtent à certaines exigences égalitaires et quelles difficultés rencontre sur ce point la volonté même la mieux inspirée. Le ménage universel est une utopie qu’il faut laisser au socialisme; on ne comprend pas d’ailleurs comment un changement constitutionnel produirait ce résultat.

Quoi qu’il en soit, le peuple de Genève, qui passe pour très intelligent, se laissa persuader qu’il était fâcheux d’avoir des magistrats intègres, tenant à l’honneur plus qu’à l’argent, des représentans éclairés, de sages administrateurs, et surtout de les conserver plusieurs années. Il s’éprit d’un bel enthousiasme pour les gros traitemens, pour les élections fréquentes, qui favorisent l’intrigue et l’ambition, pour le suffrage universel direct, qui donne la majorité à la partie la moins instruite de la nation. Le progrès de ces nouvelles tendances put être déjà constaté lorsque en 1834 la tentative des réfugiés italiens et polonais sur la Savoie donna lieu à une manifestation populaire telle que Genève n’en avait pas vu depuis fort longtemps. On craignit un instant qu’elle ne dégénérât en émeute. Le gouvernement toutefois possédait encore l’appui de la grande majorité des citoyens, et l’effervescence fut bientôt calmée.

L’année suivante, la célébration du jubilé de la réforme vint donner un aliment aux querelles religieuses, depuis quelque temps ravivées, soit par l’introduction à Genève du méthodisme anglais, soit par l’humeur militante du curé de la ville, M. Vuarin, chez lequel l’énergie d’un ancien militaire s’unissait à la tactique habile des jésuites. La controverse commença dès lors à se mêler aux questions politiques en les compliquant d’une manière très fâcheuse. C’est sur ce terrain mixte qu’eut lieu en 1837 le premier essai d’émeute. Le gouvernement ayant voulu abolir le jeûne genevois, fête