Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/611

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nière tendance s’est révélée par des faits malheureusement incontestables. Il suffit de citer l’établissement d’une maison de jeu, formellement interdit par les prescriptions du code français, qui sont encore en vigueur dans le canton de Genève, l’insouciance trop cavalière avec laquelle la chancellerie laisse en arrière de deux ans au moins la publication du recueil officiel des lois, les empiétemens de pouvoir auxquels ont été tour à tour en butte l’ordre des avocats[1], la société des arts[2], la faculté de médecine[3], etc., enfin les dispositions peu bienveillantes du gouvernement vis-à-vis des autorités fédérales. Sur ce dernier point encore, le radicalisme fait certainement fausse route. L’esprit suisse a trop profondément pénétré dans la population genevoise pour qu’il soit possible de le déraciner. L’admirable élan national provoqué par les menaces de la Prusse en janvier 1857 ne laisse aucun doute à cet égard. La vieille république s’est ralliée de cœur au régime fédéral malgré ses imperfections; elle comprend que là se trouvent pour elle les meilleures garanties d’indépendance et de sécurité. Les souvenirs de son passé comme les intérêts de son avenir lui font un impérieux devoir d’être suisse avant tout, et c’est d’ailleurs la réalisation d’un vœu qui fut dès le XVIe siècle celui de ses citoyens les plus dévoués. Elle a droit aussi d’exercer sa part d’influence dans les conseils de la commune patrie, et ne saurait renoncer pour toujours au rôle honorable que jouèrent pendant nombre d’années ses députés à l’ancienne diète. Déjà les autres cantons demandent avec inquiétude ce que sont devenues les lumières et les traditions de la cité qui produisit jadis tant d’hommes éminens. Ils déplorent cette apparente décadence morale, et devant l’opinion presque unanime de leurs organes de toutes les nuances, il semble impossible qu’un salutaire réveil se fasse attendre longtemps encore.

Genève doit sans doute se résigner désormais aux inconvéniens de la démocratie. Elle est forcée de subir toutes les éventualités. du suffrage universel, et ne peut songer au rétablissement de ses anciennes institutions. La seule espérance raisonnable qui lui reste est de combattre l’action des élémens étrangers dont elle est inondée par la même énergie persévérante contre laquelle vinrent échouer jadis les efforts de ses ennemis extérieurs. Une révolution aussi complète que la sienne, quels que soient les motifs qui lui ont

  1. Pour exercer les fonctions d’avocat, un examen de capacité n’est plus obligatoire; il suffit d’avoir vingt-cinq ans et de prêter au conseil d’état le serment d’homme de loi.
  2. Le gouvernement s’est emparé de la direction du musée Rath malgré l’intention formelle du donateur, qui l’avait confiée à la société des arts.
  3. Sous l’ancien régime, il fallait, pour exercer la médecine, subir un examen devant la faculté : aujourd’hui c’est le gouvernement qui donne l’autorisation nécessaire.